Notes # 19 Vulves

« Le féminisme est une langue de lutte. On la parle pour s’indigner d’avoir les yeux ouverts et la bouche cousue. On milite parce qu’on a pas d’autre choix. Parce qu’on découvre l’injustice et qu’il faut imposer sa parole pour la dénoncer. Se regrouper et lutter. S’opposer et reconstruire. Prendre la main de sa sœur et la coller dans la gueule de son agresseur. Être féministe, c’est vivre sur un ring et arrêter d’expliquer qu’on ne va blesser personne. Être féministe, c’est entarter ceux qui nous font tartir. C’est poser ses mots sur la table et sortir, sans s’excuser. »

Ce qui m’a plu dès le premier paragraphe de Vulves, c’est le ton employé : l’autrice, tout comme les extraits qu’elle a choisi, n’y vont pas avec le dos de la cuillère. Les tournures de phrases sont belles et poétiques. Parfois alambiquées mais le ressenti n’en est alors que plus parlant. Pour autant les mots restent justes sans tomber dans de la critique que je jugerais gratuite.

J’ai pas mal essayé de lire des essais sur le féminisme (Une culture du viol à la française par exemple), des textes poétiques (mon corps est un champ de bataille ou les monologues du vagin…) ou des recueils parlant des sorcières (Reclaim de Emilie Hache par exemple) sans réussir à rentrer dedans ou à sentir une résonance avec mon propre vécu. Non pas que ces textes ne soient pas intéressants, loin de là, mais l’aspect légèrement universitaire avec des phrases longues et compliquées, souvent un peu trop théoriques pour moi ne m’a pas parlé. Avec Vulves, j’ai eu un peu de tout, avec des mots simples, des exemples concrets qui m’ont donnés l’impression d’aller en profondeur dans le propos et non d’en faire un état des lieux avec des dates et des noms de grand.e.s penseur.euses. Le ton peut passer du badinage à la théorie puis retourner dans un humour plus léger et arriver sur un gros coup de gueule.

C’est un des livres traitant du féminisme qui me semble le plus juste et le plus complet. Il aborde en premier lieu des questions aussi intimes que l’odeur de ta propre vulve, les lavements vaginaux, le type de porno que tu regardes, les rapports sexuels qui te plaisent ou ta façon de te masturber et on est alors contente de savoir enfin ce qu’il se passe un peu chez les autres. De n’être pas la seule dans notre cas.

« Tu trouves qu’elle sent quoi toi, ta chatte ? Du coup je vais vous le dire, moi la mienne sent le pot-au-feu. Dans ses meilleurs jours.
– Les chips au paprika.
– L’ail, seulement quand je jouis.
– Ça dépend de ton cycle.
– En dehors des règles c’est une patate chaude. Quand c’est les règles, ça a une odeur de fer, de sang, de viande. Entre la volaille et le bœuf. »

Alexia Tamécylia va ensuite vers des sujets plus polémiques tels que les menstruations ou invisibilisation des femmes dans la société.

Tout un panel d’information est présenté aussi sur la médecine des femmes : l’absence de connaissance sur le corps de femmes et sur les effets des différents types de contraception, les violences obstétricales et l’aveuglement sur les beautés d’un accouchement toujours parfait.

« – On accélère le travail parce que le médecin veut finir à seize heures et pas dix-neuf. S’il doit aller à l’opéra on vous déchirera.
– C’est pas forcément de la mauvaise volonté. Il n’y a plus d’agent dans les hôpitaux et quinze personnes accouchent en même temps.
– Le souvenir le plus douloureux que j’ai, c’est quand elle m’a recousue.
– Après l’accouchement, j’ai eu mal pendant les rapports sexuels. La sage-femme que je suis retournée voir m’a dit : Ah, ils vous ont un peu trop recousue !« 

Les capacités « des sorcières », sages-femmes et autres femmes savantes sont remises en lumière.

Enfin les questions de la maternité comme un choix qui nous est enlevé depuis le plus jeune âge, et de la charge toujours inégalitaire qu’est le fait d’élever un enfant dans un couple hétéro. La non-connaissance et non prise en compte des familles homoparentales dans tout ce que tourne autour de l’adoption et plus.

Les informations sont sourcées, il y a un grand nombre de citations d’œuvres récentes ou remises au goût du jour par les tendances actuelles qui ont contribué à construire mon esprit féministe (King-Kong théorie, La servante écarlate, Au-delà de la pénétration, La Charge mentale d’Emma ou Il faut que je vous parle de Blanche GARDIN). En plus des extraits qui donnent envie de parcourir les œuvres citées, Vulves jongle aussi avec des témoignages pour étayer ses arguments. Ces témoignages, souvent sous forme de dialogues à propos de sujets divers, nous montrent différents points de vue et m’ont permis d’élargir mon raisonnement en tant que femme blanche cis-genre : beaucoup de questions sont aussi abordées sous le prisme lesbien. Cela apporte une réflexion et une vision plus vaste du patriarcat et de la lutte féministe. Ces dialogues font mouche : il n’est pas possible de se reconnaître dans aucun d’eux.

Vulves de Alexia Tamécylia,
Edition Gorge bleue, 2019

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