Note 3# Être forêts : Habiter des territoires en lutte

Que représente la forêt aujourd’hui dans l’imaginaire collectif ? Quel est notre rapport à cet endroit qui rappelle pour certain·es l’enfance, le calme et le repos, et pour d’autres la lutte et l’agitation ? Comment et pourquoi habiter un lieu a priori inhospitalier ? Qu’implique un « aménagement du territoire » pour celles et ceux qui habitent sur ces lieux…

C’est toutes ces questions que Jean-Baptiste Vidalou, développe dans un essai tenant autant de la philosophie que de la poésie insurrectionnelle. Son nom est le pseudonyme d’un héros de la Guerre des demoiselles, une révolte paysanne du 19e siecle connue pour ses méthodes de lutte originale, qui cache un homme se définissant bâtisseur en pierre sèche et agrégé en philosophie. Ayant passé sept ans de sa vie dans des forêts en lutte, il raconte et analyse son histoire et ses aspirations par le biais d’une philosophie résolument politique.

“Il paraît qu’on peut juger d’une époque à la manière dont elle traite ses forêts. On jugera celle-ci à la manière dont elle mesure, pixel par pixel, son propre anéantissement.

Habiter la forêt, reprendre les maquis

Notre-Dame-des-Landes, Sivens, le Larzac, les Cévennes, autant de lieux qui inventent de nouveaux rapports à l’environnement, de nouvelles façons d’habiter un lieu, ou qui au contraire ressuscitent d’anciennes traditions de lutte. De tout temps, la forêt a été le refuge des fugitifs et fugitives, des résistant·es à l’ordre établi. Des camisard·es des Cévennes aux maquis du Vercors, de Roybon à Bure, la forêt est défendue pour elle-même, mais aussi pour la liberté qu’elle représente. De par sa géographie, sa nature sauvage et la difficulté pour l’assaillant extérieur de s’y repérer, elle devient le lieu idéal des guérillas.

Dans son livre, Jean-Baptiste Vidalou nous offre une chronologie mondiale et une analyse de ces mouvements de résistance populaire, souvent paysans, et particulièrement de la guerre des Camisards : soulèvement paysan dans les Cévènnes de 1702 à 1704, où de petits groupes de paysans pouvaient tenir en respect l’armée du roi par leur connaissance du terrain, de la population et des abris que leur offrait la forêt.

“Il n’est pas tant question ici de La Forêt que des usages et des liens que nous entretenons avec les forêts. Mieux, il s’agit ici de voir comment nous sommes forêts. Des forêts qui ne seraient pas tant ce bout de « nature sauvage » qu’un certain alliage, une certaine composition tout à fait singulière de liens, d’êtres vivants, de magie. Non une étendue mais une puissance qui croît, en son cœur comme à ses lisières. “

La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre

Il avance aussi une critique intéressante de la cartographie et de l’aménagement du territoire comme arme de colonisation. En effet, pour quels usages fut développée la pratique de la cartographie ? Avant tout pour un usage militaire, et afin de mieux conquérir des territoires étrangers ou inconnus. L’aménagement du territoire relève lui aussi beaucoup de cette pensée martiale : aménager pour mieux gérer, pour mieux circuler et intégrer un paysage dans une norme économique et politique. Jean Baptiste Vidalou nous amène donc à penser ces sciences comme autant d’ingérences et d’intrusions dans des régions, et ce en reléguant leurs singularités (linguistique, culturelle, politique ou économique) aux marges afin de mieux les contrôler. Tel était déjà l’exemple de Gilgamesh et de l’immense forêt de cèdres du Liban.

Lutter et vivre dans la forêt, nous dit l’auteur, c’est se battre contre la « gestion » humaine d’un environnement qu’on aimerait voir libre, c’est s’opposer au capitalisme en refusant de vendre la nature au plus offrant, et proposer des alternatives plus humaines. Dans ces forêts se développent une sensibilité, un imaginaire et des valeurs communes, tissant des liens entre des communautés parfois aussi éloignées que le Larzac et les paysans et paysannes en lutte du Mexique. C’est en ce sens que s’éclaire le titre. « Être forêts », c’est autant défendre qu’habiter cette immense communauté interconnectée.

“Partout des luttes résonnent de cette même idée : la forêt n’est pas un gisement de biomasse, une zone d’aménagement différé, une réserve de biosphère, un puits de carbone ; la forêt c’est un peuple qui s’insurge, c’est une autodéfense qui s’organise, ce sont des imaginaires qui s’intensifient.”

Jean-Baptiste Vidalou,
Etre forêts, Habiter des territoires en lutte, Zones, 2017

Être forêt est donc tout autant un état d’esprit, qu’un mode de vie et d’action. Et c’est ainsi qu’on pourrait résumer l’excellent ouvrage de Jean Baptiste Vidalou, manuel pour une lutte philosophique et pratique. Érudit, frais et éminemment dynamique.

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