Cette interview est la deuxième partie d’un long entretien avec un admin du Neurchi d’Individu-e-s très mobiles. Vous trouverez ici la première partie.
Le Neurchi d’individu-e-s très mobiles est-il une étape vers un militantisme IRL ? Ou au contraire, un lieu de sociabilisation pour individu-e-s déjà très mobiles ?
Le militantisme IRL est parallèle au groupe. D’abord pour des soucis d’identification on déconseille fortement de donner des rendez-vous, des détails d’action ou quoi que ce soit lié au militantisme IRL dans la mesure ou nous sommes 5000 et que malgré l’aspect safe du groupe, il est certain que des infiltrés de toute sorte surveillent et récoltent des informations.
Faites bien attention aux informations que vous donnez sans tomber dans la paranoïa bien sur.
Le partage des actions rendues publiques est bien entendu souvent fait.
Nous avons aussi un groupe discord créé par le créateur de notre bannière, Max, géré par une autre équipe de modération. Tout cela fait que nous nous rapprochons beaucoup plus d’un lieu de sociabilisation pour individu-e-s déjà très mobile. J’ai moi-même connu des personnes qui m’ont hébergés et sauvé de la merde dans ma vie personnelle à l’époque grâce à Neurchi d’anarchie et ensuite Neurchi d’Individu-e-s Très Mobiles.
En gros, des groupes affinitaires peuvent se créer grâce au groupe mais en aucun cas le groupe ne saurait se voir comme une communauté homogène avec les mêmes objectifs politiques, ce serait dangereux et utopique sur un media comme Facebook.
Il n’est pas rare de constater que la culture internet influence des militant.e.s, par exemple dans les slogans ou dans des actions comme le Banderole Games.
Avez-vous des exemples de ces influences ?

Les slogans en sont imprégnés bien entendu. De la même manière que la musique, le cinéma et toute autre forme de culture qui influencent notre humour et nos références en général, donc notre militantisme, façonnant nos pratiques.
Le féminisme ou l’anti-racisme, par exemple, reprennent parfois les memes de l’extrême droite ou de JeuxVidéo.Com/4Chan pour les tourner en ridicule, chose qui ne fonctionne auprès du public que si ce dernier connaît leur “humour” tournant toujours autour des mêmes blagues de dénigrement des personnes (hélicoptère d’attaque, issou, écriture inclusive exacerbée, cheveux bleus etc.).
Pour ce qui est des actions en tant que telles, je n’ai pas le souvenir que les memes aient été utilisés de manière concrète autrement que par des simples références à cette culture. Mais sûrement que je ne suis pas au courant de tout. Le meme et la culture internet sont plutôt utilisés comme vecteurs de ces actions, de mon expérience.
Enfin si, j’ai un vieil exemple : Lulzsec. Un tout petit groupe de hackers qui n’aura pas duré longtemps et né sur 4chan il y a une dizaine d’années. Ces hackers pirataient pour le “lulz”, pour le fun. Ils ne pirataient pas les particuliers, ils s’attaquaient à des symboles du capitalisme et du pouvoir par simple envie de faire chier des grosses boites tout en rigolant sur fond de culture memique. En soi ils n’étaient pas politisés mais ont participé par cette culture à la lutte anticapitaliste.
Un autre exemple de l’influence de cette culture hors de nos milieux est son utilisation forcée par Hillary Clinton pendant les dernières élections américaines. Avec un tel exemple, on peut clairement confirmer que cette culture influence nos actions et notre culture générale (se retrouvant dans nos slogans) même si on ne s’en rend pas forcement compte.
Il existe une multitude de neurchis avec des lignes politiques spécifiques et plus ou moins prononcées. Avez vous des liens avec d’autres pages proches ? Ou au contraire des inimitiés anciennes ?
On se fout sur la gueule de temps à autre avec les ML(M), les débats sont même parfois très tendus même si ça tourne plus souvent autour de la taquinerie ou des rappels historiques.
Les groupes plus anarcho-individualiste tels qu’Anarchie Mon Amour (dont j’suis bannis yeay) ou même les groupes d’extrême droite comme NdSJW sont clairement hostiles.
Les groupes libéraux sont plus ou moins évités et moqués car la proportion de mascus néo-libéraux qui y sont est affligeante et fatigante.
Ensuite il y a toute la myriade de collectifs et de pages de la mouvance anarcho-libertario-autonome communistobolchevique et ultra turbo gauche islamo-zadiste avec qui nous avons des liens évidents, parfois tendus sur des bases de conflits personnelles mais restant en général alliés. Ça créé un cercle de private jokes inhérent au milieu et des partages de memes venant de et tournant sur tous les groupes de cette galaxie.
Sur le neurchi d’individu-e-s très mobiles, vous avez choisi d’afficher des Trigger Warning, cela pour protéger de la violence de certains memes. D’où est-venu ce choix ? Est-ce un choix de la modération, d’un politburo, de la communauté… ?

Comme expliqué plus haut, ça fait partie des pratiques de collectif auto-géré, de syndicat révolutionnaire et de la communauté militante qui se sont intégrés naturellement, comme un réflexe, chez les créateurs et créatrices de memes, qui font partie de notre manière de faire rire nos camarades. Au même titre que l’écriture inclusive qui ne se limite pas aux points/tirets dans les mots mais implique une manière de discuter et partager. Ce sont des outils permettant d’éviter les malentendus et de garder une clarté malgré le média vague qu’est internet. Ces choix sont assez implicites puisque ce groupe s’adresse aux mêmes personnes qui en créent le contenu. Rien ne les empêche d’être abonnés à d’autres groupes pour avoir accès à d’autres formes d’humour s’adressant à des publics plus précis. D’où je pense la prolifération des neurchis avec des thèmes de plus en plus précis encadrant et désignant de facto leurs codes.
Le meme est-il une catharsis pour extérioriser une violence vécue, un outil de dénonciation d’oppression, et/ou un moyen d’expression artistique et humoristique ?
Tout ça et bien d’autres choses à la fois, parfois tout mélangé en même temps et parfois plus spécifique à l’objet du meme. C’est un moyen d’expression et son but est donc lié à l’intention du créateur ou de la créatrice, son point de vue, son expérience, ses références, etc. Il peut être tout à fait utilisé pour l’inverse, c’est-à-dire être vecteur d’oppressions. Il est ce qu’on en fait vu qu’il est collectif et extrêmement large dans les outils qu’il propose. On l’a vu par son évolution : d’abord de simples images figuratives en réaction à un événement, jusqu’à, de nos jours, des histoires personnelles ou collectives transmises par vidéo ou suites d’images parfois abstraites, s’auto-alimentant dans leurs propres références et codes.
D’un certain point de vue, il est une nouvelle forme d’art, tournée vers l’humour certes, et a donc les mêmes caractéristiques que toute forme d’art.
Comment vous êtes-vous mis aux memes, et pourquoi ?
J’ai été baigné dans la culture internet et jeux vidéos très jeune, faisant partie d’une communauté assez soudée autour d’un jeu en particulier, qui est devenu une gang d’amis au fil des années. Petite communauté qui s’est élargie à tous les sujets par le forum puis discord. De fait je me suis mis aux memes naturellement au fil où c’est apparu.
En plus, mon travail principal touche à l’image et à la 3D, artiste et artisan multi-disciplinaire (visuel, musique, etc.), employé ou dans la rue selon les périodes, le meme est pour moi un media supplémentaire avec lequel j’aime jouer pour ce qu’il m’apporte et ce que je peux apporter par mes techniques/capacités personnelles. L’utiliser participe en soi à mes démarches personnelles comme tout art ou hobby.
Le confinement est-il propice à la production de memes ? Plus largement, comment rester un.e militant.e actif.ve pendant le confinement ?

Ca depend de chacun-e. Personnellement je produis moins vu que j’avais une job d’artiste 3D qui me permettait de produire des memes en parallèle sur mes heures de travail, merci l’open-space et les logiques capitalistes d’entreprise qui forcent à des périodes de pure emmerde au travail.
Le fait d’être au chômage technique me permet de me concentrer en ce moment sur le collectif auto-géré dans lequel je vis, participer encore plus aux différentes tâches du collectif (potager, rénovations, action de solidarité, organisation collective, etc.). En effet, j’ai de l’énergie et du temps comparé à quand je vais au travail faire une job pas si artistique que ça vu qu’elle sert un objectif productiviste/capitaliste. Job dictée par les chiffres et résultats en somme. Puis j’aurai bientôt encore moins de temps vu que je retourne sur la route bientôt pour aller aider des ami-e-s, des camarades à l’étranger et participer à l’organisation des collectifs se trouvant sur ma route. Je suis quelqu’un d’origine et de culture nomade, je reste pas en place et je vais un peu partout en travaillant/aidant dans le milieu, jouant de la musique sur la route, etc.
Tout ça pour dire que le confinement peut à la fois donner le temps de faire des memes, mais il peut aussi être vu comme un moment où l’on a le temps de s’occuper de son environnement physique direct pour celles et ceux qui avaient une bullshitjob ou une job purement productiviste, et qui auraient la chance de pas être confiné.e.s seul.es dans un appart de 10m carré.
Le fait que beaucoup de personnes luttent actuellement pour leur propre survie amène à penser que ce n’est pas forcément le moment le plus propice pour y passer tout son temps, pas pour tout le monde.. Si vous en avez l’occasion, tant mieux, faut pas que ça s’arrête, mais je pense pas pouvoir généraliser sur la tendance de production de memes dans ce contexte. Par contre, oui le confinement sert la cause, de par la propagation d’actualités, la communication ayant été rendue difficile par la distanciation sociale.
Fak ya pas vraiment de réponse à cette question, cela dépend de chacun-e et de ses priorités/capacités actuelles. La solidarité en étant une, vu ce qui nous attend après cette crise, que ce soit physiquement ou virtuellement, le rassemblement social et la solidarité sont prioritaires. Quel que soit le moyen que vous choisissiez pour y participer.
Comment voyez-vous la situation politique et sociale actuelle, et l’après-confinement, en tant que militant.e.s et artistes du meme ?
J’ai une grosse envie de me balader dans les rues du centre-ville avec un lance-flamme dans les mains pour résumer.
Le cynisme de notre époque, le manque de décence des instances du pouvoir, la crise monumentale arrivant par la somme de la crise spéculative, de l’arrêt de l’économie réelle et du tournant néo-libéral des Etats par l’endettement massif pour sauver les marchés. Tout ça conduisant à la survie seule des multinationales, la disparition des entreprises locales, l’austérité pour rembourser ces dettes imposées par une explosion de la répression et du contrôle (drones, reconnaissance faciale, police de plus en plus en roue libre avec les moyens incroyables en sa possession), le danger climatique, les luttes avortées à travers le monde. Et j’en passe. Tout ça créé un cynisme ambiant monumental et assez précaire quand à nos espoirs.
A quel point l’actualité influence-t-elle la production de memes ?
Ce cynisme dont je parle est en soi une mine d’or pour la production de memes. L’ironie, le sarcasme et la satire que nous offre l’actualité est du pain béni pour la création de memes, nous permettant de nous extirper de cette réalité et de dénoncer par l’humour ce qui nous fait vriller en général. C’est en cela que le meme devient cynique quand il n’est pas wholesome. Ces deux aspects sont nécessaires par souci d’identification à des gens qui nous ressemblent, ressentant la même angoisse vis-à-vis de notre époque et sa barbarie. En rire, c’est en faire la dérision ensemble, pour nous épauler dans ces temps difficiles et garder l’espoir collectif.
L’esthétique des memes est souvent très actuelle, mais vient aussi parfois de l’imagerie révolutionnaire anarchiste.
Remarquez vous, sur le Neurchi d’individu-e-s très mobiles, l’influence d’une période historique particulière ?
Est-ce qu’un courant ou une personnalité historique ou politique est plus récurrent dans l’imagerie ou la pensée memique ?

Les deux questions sont liées aussi, j’vais y répondre ensemble.
Les périodes et figures de résistance telles que la makhnovtchina, la guerre civile espagnole, la propagande par le fait participent énormément à cet imaginaire vu qu’ils font partie de base de notre folklore militant. Au même titre que les cultures plus marginales ou de niche et réfractaires telles que le rap, le punk et autres dont l’esthétique et les codes s’ajoutent à tout ça.
Toute période, tout courant et toute figure représentant nos valeurs sont récurrents dans notre univers memique, et personnels à chacun. Les figures de résistance féministe tel que Louise Michel, Emma Goldman et j’en passe, sont utilisées dans les memes féministes. Malatesta, Ravachol, Durruti, Makhno, Kronstadt seront occurrents dans les sujets d’action directe ou de méfiance envers les révolutionnaires étatistes.
Et c’est là que le meme prend une dimension très condensatrice permettant en une image de résumer un courant, ses contradictions, ses revendications en utilisant simplement des symboles liés à nos connaissances historiques et culturelles.
En tout cas, de mon avis perso, les plus récurrents restent Makhno (figure quand même très rassembleuse dans le milieu) et les raccoons (raton laveur) qui sont un outil d’identification fort pour nous.
Pourquoi le raccoon? Avec l’opossum il est une figure classique des anarcho-punks (surtout en Amérique), d’un côté par sa symbolique d’animal cute mais “très mobile », solidaire avec les autres animaux, ayant un caractère et des comportements presque humains, voleur et masqué. Ya aussi la dimension d’animal sale, autonome et mangeant des poubelles qui s’accroche au mouvement punk et plus largement aux gens dans la galère ou évitant la sur-consommation.
Ces influences, ces similitudes avec le mouvement anarchiste en ont fait un symbole rassembleur pour nous tou-te-s.
Si vous ne deviez garder qu’un meme, lequel serait-ce ?
Franchement aucune idée mais à la limite les political compass détournés (dont ceux du groupe “Yet another political compass where libleft is superior”) me font parfois exploser de rire par leur exactitude.
Ya aussi celui-ci que j’ai vu passer hier que je trouve incroyable par sa simplicité :

Un commentaire sur “Transversal #3 Des memes très mobiles (2/2)”