Le meme internet est devenu un phénomène majeur de la culture internet. Art ouvert à tous·tes et principalement aux amateur·ices, les memes se regroupent sur des pages facebook du nom de neurchis. Jouant souvent sur de nombreux niveaux de compréhensions, des références plus ou moins cachées et détournées, le meme est bien souvent critique et sulfureux.
Grands amateur·ices de memes, nous sommes allés à la rencontre d’un de nos neurchi favori : Le neurchi d’individu-e-s très mobiles.
Rencontre avec un Admin de NDITM
Le neurchi d’individu-e-s très mobiles a bientôt un an. Pourriez vous nous raconter son histoire ? Quelles en étaient les envies de bases, et y êtes vous parvenus ?
Le neurchi a une histoire assez riche et je vais essayer de résumer rapidement.
En gros, le neurchi a été créé par l’équipe de modération de feu Neurchi d’Anarchiste, le premier, dont je faisais parti. L’admin de ce neurchi dont je tairais le nom est parti en ego trip anti-civilisationnel et a archivé le groupe contre l’avis de la modération et des membres du groupe. Je dis archiver car un groupe doit être vide pour pouvoir être supprimé et après 500 clics de ban il s’est tanné et a découvert l’archivage pour faire disparaître le groupe. Il était le seul administrateur et donc vioush ça a sauté.
A partir de là, deux neurchis d’Anarchistes se sont créés, un géré par une trots (qui a rejoint plus tard notre modération quelques temps) et NdITM (qui trouvera son nom plus tard pour se séparer du deuxième NdA) géré par le gros de l’ancienne modération.
Ancienne modération dont je connaissais plusieurs personnes IRL, plusieurs m’ayant hébergés pendant mon passage en Europe ou j’étais bloqué à causes de visas pour retourner au Québec. Le groupe a alors pris de la vitesse beaucoup plus vite qu’on ne pensait et a ça sont arrivés des dramas, des départs d’admins, des changements de modération, etc…
Pour ma part je suis resté en tant qu’admin principal pour m’assurer de la continuité de la modération sans prise de pouvoir arbitraire et de la survie du groupe histoire qu’un nouvel admin fasse pas un archivage à la “NdA 2.0”. Si vous allez dans les premiers memes du groupe, vous en verrez une flopée en rapport à cette histoire dont la plupart des membres étaient au courant.
Les envies de base étaient donc simplement de faire un nouveau neurchi d’anarchiste safe et inclusif, non-primitiviste. Ce qui je pense est quand même bien installé.
Le Neurchi d’individu-e-s très mobiles compte une communauté de près de 5 000 membres. Comment décririez-vous cette communauté et ses diversités (tendances politiques, genre, origines…) ?

On va pas se le cacher, la communauté est majoritairement blanche de base même si cela change de plus en plus avec une représentation plus forte des diversités par la simple application des codes militants de non-oppression qui se fait un peu d’elle-même. La modération essaye en général de pousser au plus safe possible pour tout le monde puis la plupart des memes sont faits par les membres. L’évolution du groupe, de ses codes, se fait donc d’elle-même en empruntant aux pratiques militantes et syndicales des membres. Tout ça participe à donner plus d’espace et plus de représentation aux communautés marginalisées ou opprimé.e.s. Askip les blanc.hes peuvent plus rien dire donc ça doit aller dans le bon sens.
Après, on ne tient pas de statistiques donc ça reste du ressenti personnel vis à vis de la composition du groupe.
Pour ce qui est des tendances politiques, ça varie. Toujours majoritairement anarchiste, autonome et communiste libertaire. Il y avait certes plus de représentation des autres tendances mais entre la ligne de modération, l’évolution du groupe et les tensions internes de la gauche (Marxiste-léniniste-maoïste versus anar par ex), le groupe s’est confirmé comme quasi-exclusivement communiste libertaire sans se le cacher mais j’en parlerais plus loin.
Internet est réputé pour ses relents réactionnaires et ses troll.e.s plus ou moins bien organisés. Qu’en est-il pour le neurchi d’individu-e-s très mobiles ?
En tant que libertaires, ayant donc une pratique anti-autoritaire, comment concilier modération du neurchi et valeurs anarchistes ? Avez-vous une ligne de modération ? Comment est-elle définie, en ce cas ?
J’vais répondre à ces deux questions en même temps.
Des trolls, on en a eu, on en a encore et on en aura mais on va dire que leur nuisance est de moins en moins présente. La ligne de modération est assez claire en ce qui concerne les fachos et les trolls, ça dégage direct sans discussion, ce qui a permis pendant les 6 premiers mois d’installer la réputation que le groupe est difficilement “trollable” même si facilement infiltrable comme tout groupe Facebook malgré le filtre qu’on fait à l’entrée. Les gens savent que certains écarts et certains comportements valent un ban immédiat, ce qui a bien sur créé beaucoup de tensions, des accusations de stalinisme primaire, etc etc.
Le fonctionnement de la modération dans ce groupe est et a toujours été expérimental dans le sens ou Facebook ne nous donne aucun outil pour modérer dans nos valeurs et nous assurer aucune prise de pouvoir ou excès de zèle/autoritarisme. Fak, on cherche des contournements.
Le fonctionnement interne de la modération est assez spécial, moi-même je ne participe plus beaucoup à la modération si ce n’est en tant qu’admin pour transmettre la continuité et m’assurer que personne n’archive le groupe ou que ça dérape. Derrière, les modos choisissent les prochains modos quand il est temps de faire tourner ou que des gens partent par fatigue genre. Je suis une espèce d’admin principal pour le moment car j’avais toujours la peur que le groupe sombre comme Neurchi d’Anarchie ou qu’il se fasse récupérer par des proudhoniens mascus comme le groupe Anarchie mon Amour. Mais j’vais quitter l’administration bientôt, ça doit tourner et j’ai confiance que le groupe va s’auto-gérer. Le groupe ira là où il doit aller, il appartient aux membres, à nous tout.es et toutes les équipes de modos ont toujours super bien géré.
De l’autre coté, on s’encourage vivement à recruter des modos qui ne sont pas HSBC, qui sont en général actif-ves et pertinent-es, etc. Ça permet une analyse/gestion bien plus claire en général. Recrutement inclusif que les membres ont demandé et qui se fait de plus en plus naturellement j’pense.

La seule chose qu’on dit aux nouveaux-elles modos c’est d’instantanément ban troll, facho et personnes pas safe qui refusent d’écouter les concerné.e.s. Pour les camarades et personnes dont l’idéologie politique est assez proche, il y a à la fois le jugement arbitraire des modos sur le cas et à la fois de la discussion en interne sur notre groupe messenger de modération pour trancher à plusieurs. Le mute est privilégié à un certain point. On essaye aussi de calmer le jeu et éduquer le plus possible. La position de modérateur permet clairement de se faire écouter plus rapidement sur internet. On pourrait le voir comme une pratique autoritaire mais, sur internet, se faire écouter est souvent très difficile et cette position permet de porter certaines voix silencées à des personnes disons plus hermétiques.
C’est en soit tout un vase semi-clos, nous restons entre personnes convaincues et privilégiant le safe à tout prix.
Facebook n’est pas un espace proposant des outils d’application d’une démocratie directe, il y a une hiérarchie qui s’impose malheureusement dans sa conception avec la modération (+ administration). On fait au mieux avec ce qu’on a sur ce média.
Je finirais sur des mesures qui sont en train d’être mises en place sur la proposition de membres, notamment un fichier clair des personnes sanctionnées par la modération avec la raison et une charte qui sera discutée collectivement sur le discord.
Sur le Neurchi d’individu-e-s très mobiles, il n’est pas rare de voir de riches discussions en commentaires, beaucoup plus sérieuses que ce que l’on peut trouver sur d’autres neurchis. Le neurchi d’individu-e-s très mobiles est-il aussi un espace pour affiner ses arguments et sa pensée ?

Comme je viens de le dire, on privilégie le safe et une ligne politique entre convaincues, de manière assez informelle par un renouvellement constant selon les idées du milieu. Dès le début, on a statué que c’était un groupe de meme et non de débat avec la droite ou autre divergences politiques, ce n’est pas le but du groupe qui est je le rappelle un groupe de meme Facebook et non un collectif avec des objectifs politiques clairs dans le monde physique.
Facebook n’est pas fait pour le débat même si il y a en effet beaucoup d’éducation et de partage qui se fait sur notre groupe.Mais cette éducation et ce partage de connaissance se font majoritairement par les apports des nouveaux-elles et des pratiques du milieu militant dont on est le plus affinitaire, le groupe évolue en parallèle à nos pratiques théoriques et pratiques de notre vie personnelle en soit.
On ne s’en cache pas comme je le disais, on est pas un espace de décision du milieu et de fait on ne saurait se considérer comme un espace de débat et d’organisation, on est en vase semi-clos assumé en gros. Les évolutions et discussions idéologiques se font majoritairement par les membres dans un respect claire de la politique du safe pour créer un espace de partage entre convaincu-e-s sans perturbations de personnes extérieures. On peut se considérer comme un espace non-mixte de la communauté anarchiste pour avoir du fun sans risque de tomber sur des connards.
Donc pour répondre plus précisément à la question : Oui c’est un espace pour affiner ses arguments et sa pensée mais seulement dans le cas où la logique communiste libertaire est déjà votre credo ; les discussions ayant pour but d’améliorer notre milieu, faire évoluer cette pensée libertaire et non organiser la révolution ou débattre capitalisme éthique.
Il arrive aussi que certains échanges soient assez violents, à tord ou à raison, cela étant symptomatique de la culture internet et de la culture libertaire. Pense-vous que certaines personnes partent plus abîmée qu’elles ne l’étaient à l’arrivée ?
La culture internet (et le confinement en ce moment) sont en effet vecteurs de tensions qui explosent facilement. Le sarcasme, l’ironie, le second degré sont souvent mal amenés vu que le média ne le permet pas et que certaines personnes apprécient pas ces formes d’humour qui nécessitent une connaissance de l’interlocuteur-trice, de ”l’humoriste” et ses intentions, etc. D’ailleurs pour cet aspect, j’en profite pour caler le nom de Fred Dubé, humoriste anarchiste québécois qui maîtrisent assez bien ces formes d’humour à l’image de Francois Rollin, Giedré ou P-A Barré.
En tout cas, ce sont des problèmes que l’on voit tout aussi bien dans les collectifs auto-gérés du monde physique, je ne le nie pas ; mais sur internet les malentendus et autres sont exacerbés, surtout sur Facebook qui ne permet que des discussions dans un format action-réaction, la médiation et la compréhension étant très difficiles.
D’où notre politique du safe à tout prix dans la mesure où nous sommes beaucoup de membres avec toutes et tous différents triggers selon les sujets abordés. Moi-même il y a des discussions, je préfère juste ne pas y participer sur ce media sinon j’imploserais.
Fak, la réponse est oui malheureusement, comme partout en fait. Le self-care et le retrait sont nécessaires à certains moments, tout comme dans le monde physique. Même si on essaye de faciliter le care par la modération pour éviter la perte d’énergie et de passion, je recommande à chacun-e de prendre des périodes loin de tout ça comme iels le feraient dans le milieu militant dans la mesure du possible.
Nous sommes toutes et tous nécessaires à la lutte ; tout anarchiste peut être certain-e que pendant qu’iel se repose, des camarades prennent le relais. De cette manière, parfois si vous n’avez pas les cuillères pour répondre à quelqu’un, je suis certain qu’un-e camarade amènera votre point que vous le demandiez ou non. Après, je suis conscient que certaines problématiques nécessitent constamment de l’énergie mais c’est ça. En tout cas, on a tendance à trancher vers le safe à la modération car une personne qui ne veut pas comprendre l’objet d’une critique anti-op risque d’exclure plusieurs concerné.e.s par ses simples propos. Et à choisir entre une personne en “déconstruction” et entre 15 membres blessé.e.s par ses propos, on tranche vers la préservation de la santé mentale de ces 15 membres.
Pourrait-on voir le meme comme un outil efficace de propagande révolutionnaire ?

Je pense que oui. On fait d’ailleurs de nombreuses PPM (Propagande Par le Meme), devenant notre marque de fabrique du groupe, qui sont des semaines à thème spécifique sur des sujets soit très importants comme le féminisme ou le racisme (nous permettant souvent de faire du ménage en tant que modo j’avoue), soit beaucoup plus légers tel que les raccoons ou les squats.
Que ça soit des sujets importants ou non, ça permet clairement de partager les (nouvelles) pratiques et théories du milieux militant et continuer le partage du savoir à plusieurs échelles. Par exemple, la PPM squat a permis de parler des nouvelles lois anti-squat, des pratiques/termes spécifiques comme le “sous-marin”, des spécificités liées aux législations des différents pays, du traitement des personnes mal-logées, des collectifs réels, etc. Notamment grâce au mélange de plusieurs générations militantes auquel la PPM invite la communication. Les lois changent ainsi que les législations et les manières de les appréhender selon ces générations. On considère que la PPM facilite cette communication intergénérationnel et le plus intersectionnel possible.
Ensuite, de manière plus large, chez les anglo-saxons le meme est tout aussi politique et ses codes sont différents, à l’image du milieu militant.
Les memes sont donc un certain miroir de notre milieu et se lient très bien aux pratiques anarchiste/collective de partage et de révolution interne. Dans le sens ou cette forme d’humour a ses propres codes -comme le cinéma- avec lesquels les gens jouent et font évoluer, avec leur communauté, leurs propres codes. D’où le clash entre les différents neurchis et affinités politiques. L’avantage c’est que ça change et évolue tout le temps de notre coté (à contrario de la droite redondante) vu qu’aucun codes n’est imposé pour que ce soit considéré comme un “bon” meme. Ils sont simplement utilisés selon le but et bon vouloir du créateur ou de la créatrice du meme, à l’image de la réalisation cinématographique. On peut faire le parallèle entre le cinéma et la culture memique à partir du moment ou le cinéma, ses codes et symboles sont tout aussi collectifs dans leur réalisation et dans leur symbolique.
Voir une culture ou un media comme un simple outil/produit monolithique est inhérent à la droite qui veut en enlever toute symbolique dans un but ApOliTiQuE qui les sert très bien.
Tout est politique, le meme l’est par essence vu qu’il se base sur des codes collectifs et une évolution qui se rapproche plus de la pratique révolutionnaire par l’abandon et la création rapide de nouveaux codes. Donc la réponse est clairement oui puisque le meme en est le vecteur et le miroir.
Je me suis beaucoup étendu et je pense on pourrait écrire un bouquin là dessus mais promis j’ai juste pris un café-baileys à ct’heure. Je vais me retenir de pas écrire de dissertations surtout que des personnes analysent déjà ce phénomène à travers différentes strates (sociologique, politique, artistique, etc) dans le monde.
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La deuxième partie de l’entretien est ICI !
Un commentaire sur “Transversal #3 Des memes très mobiles (1/2)”