Murray Bookchin (1921-2006) est un penseur libertaire états-uniens dont la pensée est fondamentale pour une immense partie de la gauche actuelle. Pionnier de l’écologie sociale, il prôna toute sa vie la décroissance et le communalisme comme outil de lutte contre le capitalisme.
Né dans le Bronx peu de temps après la révolution de 1917, Murray Bookchin vit et grandit plongé dans les milieux militants américains. De parents juifs anarchistes ayant fui la révolution de 1905 en Russie, Murray Bookchin se retrouve à l’age de 9 ans dans les jeunesses communistes. Il sera exclu des organisations communistes en 1939 (18 ans) suite à des désaccords avec la ligne officielle du parti, au sujet notamment des luttes antifascistes pendant la guerre d’Espagne.
C’est à partir des années 1950, et après un passage comme ouvrier chez Général Motors notamment, qu’il rompt avec le trotskisme pour s’affirmer anarchiste et écologiste.
En 1952 il publiera son premier article sur la question des pesticides dans l’alimentation, article qui établira déjà les bases de ses recherches et écrits, à savoir le lien omniprésent entre capitalisme, productivisme et destruction de l’environnement. C’est en 1964 qu’il commence à développer sa théorie de l’écologie sociale, à travers de nombreux ouvrages et par la fondation d’un institut pour l’écologie sociale.
S’opposant fermement à une écologie réformiste, il se place dans une perspective révolutionnaire, selon les principes de la démocratie directe. L’importance des communes libres dans ses travaux, notamment sur le municipalisme libertaire, firent de lui l’un des penseurs les plus influents pour les militants des différents Kurdistan, dont Abdullah Öcalan avec qui une longue correspondance épistolaire eut lieu.
L’écologie sociale, une éthique émancipatrice
Pour Murray Bookchin, il est inenvisageable de penser la lutte écologique séparément des luttes sociales. C’est en ce sens qu’il nomme sa théorie l’écologie sociale. Il l’exprimera par la phrase suivante : « L’obligation faite à l’humain de dominer la nature découle directement de la domination de l’humain par l’humain. »
Fondamentalement anticapitaliste, elle prône un remplacement de la société actuelle par une société écologique, une société capable d’effectuer des changements sociaux radicaux afin d’éliminer les abus perpétrés contre l’environnement et contre l’humanité. Ces changements sociaux, l’abandon des hiérarchies et des classes notamment, sont en grande partie inspirés des théoriciens anarchistes tels que Kropotkine et Malatesta.
Il s’oppose lors de la publication de son texte « Qu’est-ce que l’écologie sociale », à différents courants de l’écologie politique alors en plein développement : le primitivisme, le spiritualisme et le technologique. Le primitivisme, qui essentialise l’idée de nature ne remet pas en cause le capitalisme : si le tiers-monde meurt de faim, c’est que la nature l’a décidée afin de lutter contre la surpopulation.
Le spiritualisme est selon ses dires une épidémie spirituelle antirationaliste venue d’Amérique du nord, religions « païennes », traditions « paléolithiques », et autres retour à la nature venu de « l’écologie profonde ».
Et le technologique dont la doctrine dit que la science et la technique pourront résoudre tous les maux dont souffre l’humanité et l’environnement. Si effectivement la technique permet de résoudre (quelques-uns) des problèmes d’ordre environnementaux, elle suppose la création d’une nouvelle élite maîtrisant le savoir et qu’on imagine aisément vouée à la loi du profit.
Pour autant, Bookchin est loin de renier toute technologie. Bien au contraire, il y voit là « les moyens auxquels nous devrons faire appel pour la reconstruction » des dégâts commis contre l’environnement. Comme Kropotkine et un certain nombre de penseurs libertaires, Bookchin pense la technologie comme étant intrinsèquement neutre. Il serait donc possible de l’utiliser intelligemment pour arriver à ce que Bookchin appelle une « société d’abondance ».
Aucune libération n’est possible, aucune tentative d’harmoniser les rapports humains et les rapports entres les hommes et la nature ne pourra réussir si l’on n’a pas éradiqué toutes les hiérarchies, et pas seulement les classes sociales, toutes les formes de domination et pas seulement l’exploitation économique.
Dans la vision de l’écologie sociale, tous les abus faits à l’environnement sont explicable par des problèmes de société. En ce sens, l’écologie sociale est fondamentalement féministe, et l’on peut remarquer l’attention de Bookchin au genre qu’il utilise dans une petite note de bas de page : « J’emploie ici le mot « hommes » à dessein. Très exactement, la rupture entre humanité et nature est l’œuvre des mâles qui, […] pendant des millénaires ont rêvé de dominer la nature, de transformer le cosmos en un immense territoire de chasse ».
L’écologie sociale suppose donc une attention constante aux dominations de toute sorte et une volonté anticapitaliste avant tout.
Visionnaire, il pressent dans ses textes des années soixante ce qu’il décrit comme une rupture mondiale. D’un coté un « monde rendu harmonieux grâce à une sensibilité écologique fondée sur la qualité de l’engagement vis-à-vis de la communauté, sur l’entraide et des technologies nouvelles » , de l’autre « la terrible perspective d’un désastre thermo-nucléaire, quelle qu’en soit la cause« . Bookchin propose de chercher du coté de la sensibilité et du pouvoir créatif un moyen de lutter contre l’effondrement à venir. Se réapproprier les technologies dévastatrices pour élaborer avec des systèmes résilients et fonctionnant à petite échelle. Lier sensibilité poétique et savoir scientifique tout en restant attentif à l’aliénation des machines ou à la pensée réactionnaire du primitivisme.
L’écologie sociale, un premier pas vers la décroissance
Bien que Bookchin n’ait jamais parlé explicitement de décroissance, probablement car ce concept n’est que peu popularisé en Amérique, ses théories en sont très proche. Le municipalisme libertaire, une de ses théories fondamentale, prône un retour à une dimension plus humaine dans le système démocratique d’une société. Cette théorie est littéralement la mise en place de l’écologie sociale par la démocratie directe dans un système de communes confédérée et autogérée.
Bookchin utilise régulièrement dans ses textes le terme de « société d’abondance », ou société d’après-rareté. Il parle par cela d’une société future, fondamentalement opposée à la société de consommation, où chaque besoin humains et environnementaux est comblée. Une société qui n’est plus en proie à la pénurie quotidienne des besoins fondamentaux ni à son inverse tout aussi nocif, la peur de manquer et l’accumulation de richesse. Selon lui, cette société « d’abondance » ayant rejeté le capitalisme permettrait de guérir notre besoin de surconsommation et de ne produire et consommer que le nécessaire et les besoins, raisonnés, de l’instant.
Bookchin critique fortement le rapport anthropocentré des sciences sociales et de l’écologie de son époque, qui transposent une vision hiérarchique sur une réalité qui fonctionne autrement. L’écologie sociale postule qu’aucune relation de domination n’est naturelle mais systématiquement sociale. Ainsi, il n’y aurait pas pour lui de « Reines des abeilles », ou de « groupes hiérarchisés chez les grands singes » mais des relations mouvantes et basé sur la fonction, le contexte, l’environnement.
« Qu’est-ce que l’écologie sociale » est un des textes fondateurs de la pensée de Bookchin, et de l’écologie politique mondiale. Assez simple d’accès, il est une base importante pour découvrir le reste de sa pensée, encore aujourd’hui terriblement moderne et stimulante.

Il nous faut maintenant tenter de transposer à la société le caractère non hiérarchique des écosystèmes naturels à partir de cet ensemble d’idées si complexe. L’écologie sociale tire toute son importance du fait qu’elle ne présente pas le moindre argument en faveur d’une quelconque hiérarchie dans la nature et la société ; elle remet en cause de façon décisive la notion même de hiérarchie comme principe stabilisateur ou ordonnateur dans l’un ou l’autre de ces domaines.