Jacob dans l’enfer du bagne
C’est à Abbeville, en 1903, que Alexandre Marius Jacob est finalement arrêté. Suite à son arrestation, la bande est démantelée. Un procès est fixé pour pour début mars 1905, pendant lequel seront jugé la bande des travailleurs de la nuit au complet, ainsi que Marie Jacob et Rose Roux, respectivement mère et amante de Jacob.
Le procès, retransmis par la presse anarchiste, est l’occasion pour Jacob de faire étalage de son talent oratoire. Pendant les 14 jours de son procès, il usera de maintes railleries, impertinences et provocations. Se sachant perdu, il entrecoupe ses moqueries de proses anarchiste justifiant ses gestes et attaquant la société toute entière.
Alexandre Marius Jacob est donc, après plusieurs réclusions et visites de nombreuses cellules, condamné au bagne à perpétuité. Les « travailleurs de la nuit », eux, iront soit en prison soit au bagne. Tout les déportés au bagnes y mourront, tout les condamnés à la prison y survivront.
C’est Cayenne, son climat chaud et ses matons sans pitié qui l’attendent.
A l’époque, le bagne est appelé « la guillotine sèche ». Un tiers des déportés y meurent pendant les six premiers mois, et l’espérance de vie ne dépasse pas 5 ans.
A Jacob est attribué le matricule 34777. En tant qu’anarchiste, Jacob est d’office condamné au travaux forcés, et envoyé aux îles du salut, un île pénitentiaire ouverte, sans aucune possibilité d’évasion.Mais malgré l’isolement et l’éloignement, Alexandre Marius Jacob ne désespère pas, et reste fidèle aux lignes de conduite du temps de sa liberté.
Le livre « extermination à la française », publié aux éditions de l’insomniaque, est un recueil de lettres qu’il écrivit presque exclusivement à sa mère depuis le bagne. Très éclairant sur la condition carcéral, elles peignent un portrait de Jacob luttant tant bien que mal, parfois déprimé et malade, parfois serein et optimiste, mais toujours combatif et dédaigneux de l’autorité.
« 17 Janvier 1911
Comme je ne veux rien te cacher, je dois ajouter que ma réclusion finie, il est probable qu’il me faudra encore subir une année d’emprisonnement. (…).
J’ignore ce que Joseph en pense ; mais quand à moi, ça ne me fait ni chaud ni froid. J’ai écrit ce que mes convictions et ma conscience me dictaient d’écrire et je suis prêt à répéter aujourd’hui ce que j’ai dit hier. J’estime qu’entre deux voix il vaut mieux écouter celle du cœur que celle de l’intérêt. La vie est courte ; qu’un homme ait vécu quarante ans, qu’il en ait vécu quatre-vingt-dix, au moment final ils ne sont pas plus avancés l’un que l’autre ; que nous soyons heureux ou malheureux, riches ou pauvres, forçat ou ministre, à la dernière seconde, nous devenons tous des Gros-Jean. Aussi est-il préférable de se conformer à ce que nous croyons la vérité sans nous occuper des conséquences, ces conséquences dussent-elles être pénibles pour nous. »

Au bagne, Jacob tente de nombreuse fois de s’échapper. Dix sept occasions se présenterons, qui toutes échoueront. Au mépris des conséquences, il cherche à fuir par tout les moyens possible, légaux ou non. Il croisera la route d’autres détenus anarchiste, comme Eugène Dieudonné, le protégé de Rirette Maitrejean, ou encore Metge, de la « Bande à Bonnot », et c’est notamment avec eux qu’il tentera de se faire la belle. Lorsqu’il n’est pas en train d’inventer des plans d’évasion, il soigne sa santé bien attaquée par la détention ou lit les livres qu’il se fait envoyer par sa mère. Des livres politiques (L’unique et sa propriété, des œuvres de Nietzsche…), quelques romans, mais aussi des livres de droit (De l’esprit des lois, délits et peines, les Œuvres de Lamarck…) qu’il compulse et utilise régulièrement pour lui ou ses camarades. Il écrit à l’administration de longues lettres pour demander des comptes quand au irrégularités dont les bagnards sont victimes, eux dont les conditions sont déjà déplorables. Il passera sept fois en procès devant l’administration pénitentiaire, et en gagnera cinq.
Jacob passera la seconde guerre mondiale loin des conflits, en Guyane, les bagnards n’ayant pas fait partie des troupes du contingent français. Il se tient néanmoins au courant des avancées de la guerre, et s’inquiète de la santé et des conditions de vie de sa mère à chaque lettre.
C’est en 1920 qu’il rencontre le docteur Rousseau, dont il devient l’assistant. Ensemble, ils écriront le livre « Un médecin au bagne », livre qui jouera un grand rôle pour l’abolition des colonies pénitentiaires. Il rencontrera aussi à Cayenne un soutien important, le journaliste Albert Londres, qui participera activement à la gigantesque campagne de presse libératrice organisée par sa mère en 1925.
Le 14 juillet 1925, une grâce présidentielle demande son rapatriement en métropole et la réduction de sa peine à deux ans.
Il sortira en juillet 1927, et c’est au final plus de onze ans de mitard qu’il tirera sur les vingts ans de bagne.
« M. Le commandant, en termes mesurés, me promit une punition. Façon, dit-il, de tempérer man ardeur épistolaire. M. l’inspecteur me traita de redresseur de torts et me déclara que je m’étais occupé là de choses qui ne me regardaient pas. Très bien ; pour la punition je tacherais de vous démontrer, monsieur le ministre, que je n’en mérite pas, quand à l’opinion de monsieur le procureur général, je la trouve fort discutable. Ce qui ne me regarde pas, c’est le nombre de grain de sel que monsieur le commandant met dans sa soupe. C’est encore la manière dont un surveillant embrasse sa femme, cela ne me regarde pas puisque c’est leur vie privée.
Mais quand aux procédés de répression que l’on emploie à l’égard de mes frères de misère, lorsque ces procédés ne sont pas mentionnés par les règlements, il m’est bien permis, je crois, de demander s’ils sont réguliers car, appliqués à mon voisin aujourd’hui, ils peuvent tout aussi bien l’être à moi demain. »
La fin de l’illegalisme
Sitôt rentré que Jacob cherche du travail, et sera embauché comme chef d’atelier dans un atelier de sous-traitance pour le grand magasin Printemps. Cette fois encore, Alexandre Marius Jacob prouve sa droiture et sa haine du pouvoir en dirigeant une équipe d’une trentaine de femme avec respect, tact et bienveillance. Selon un témoignage de son patron rapporté par Eugène Dieudonné « Avec lui, elles travaillent en chantant et gagnent d’avantage. Mes anciens chefs n’en pouvaient rien faire. »
Mais très vite, le goût de la liberté lui revient, et il décide de s’établir à son compte comme marchand ambulant, métier qu’il pratiquera presque jusqu’à la fin de sa vie.
Bien que travaillant beaucoup, il garde du temps pour militer. Il se bat activement contre la prison et le bagne, organise des campagnes de presse pour demander la libération de l’un ou de l’autre. Il fréquente des penseurs et militants, participe à des conférences et témoigne régulièrement de son expérience carcérale.
En 1936 il interromps quelques temps son commerce pour aller voir de l’autre coté des Pyrénées cette révolution en cours. Il participera à la lutte en leurs livrant des armes, mais reviendra vite, déçu par une énième trahison des communistes. Le grand soir n’était pas pour aujourd’hui.
Confortablement installé dans l’Indre, Alexandre Marius Jacob vit paisiblement avec Marie, sa mère, et Pauline sa compagne. Il vend des tissus et du linge sur les marchés et n’aspire plus qu’a la tranquillité. Marie décède en 1941 et Pauline en 1950. Jacob se retrouve seul avec son chien Négro et ses chats. Rien en le retenant, il décide de monter son dernier coup, discret celui ci : son suicide. Il souhaite en finir tant qu’il est encore autonome, pour ne jamais être dépendant des autres.
Le 28 aout, il organise chez lui un immense repas, pour les enfants pauvres du Bois-Saint-Denis. Il dépense sans compter pour ne rien laisser à l’état, son « vieil ennemi ». Puis, les enfants partis, il se calfeutre chez lui et se pique à la morphine pour « en finir volontairement avec le sourire ».
« 1954 : J’ai eu une vie bien remplie d’heur et de malheur. Aussi bien, je vous quitte sans désespoir, le sourire aux lèvres, la paix dans le cœur. Je veux partir en bonne santé, en faisant la nique à toute les infirmités qui guettent la vieillesse. Elles sont toutes là, réunies, ces salopes, prêtes à me dévorer. Très peu pour moi. Adressez-vous à ceux qui s’accrochent à la vie. J’ai vécu, je puis mourir. Je me suicide un samedi pour que les gens s’occupent du corps le dimanche et que l’habillage et les démarches ne les dérangent pas. Linge lessivé, rincé, séché, mais pas repassé, j’ai la cosse, excusez. Vous trouverez deux litres de rosé à coté de la paneterie. A votre santé !»
Alexandre Marius Jacob est un homme à la vie complexe, tumultueuse, et dont la route est chargée de violences et de deuil. Mais c’est un homme qui tacha, toute sa vie durant de suivre ses idéaux et d’être quelqu’un de bon. Par la « reprise individuelle » et la pratique de l’illégalisme, par ses révoltes et ses luttes pour de meilleurs conditions de détentions, par sa recherche de vie paisible ensuite.
Certain.es le comparent à Arsène Lupin, et s’il est vrai qu’il possède son élégance et son art du cambriolage, Lupin n’est pas cet homme droit et engagé qu’est Jacob. Et c’est ici l’essence de notre personnage.
Dans ses choix privilégiant toujours celui en faveur de la liberté, assumant sans broncher les conséquences de ses actes, Alexandre Marius Jacob est un modèle et une figure incontournable des luttes anarchistes !
« La lutte ne disparaîtra que lorsque les hommes mettront en commun leurs joies et leurs peines, leurs travaux et leurs richesses ; que lorsque tout appartiendra à tous.
Anarchiste révolutionnaire, j’ai fait ma révolution, vienne l’anarchie.
Pour Germinal, à vous, à la cause. »
Pour l’écriture de cet article, nous avons puisé essentiellement dans trois ouvrages :
Deux recueils de textes d’Alexandre Marius Jacob publiés aux éditions de l’insomniaque :
– Les travailleurs de la nuit & Extermination à la Française.



et une excellente biographie de Jacob, écrite par Jean marc Delpech, aux éditions Nada :
– Alexandre Marius Jacob, Voleur et Anarchiste
Un commentaire sur “Note #9 Alexandre Marius Jacob, artiste cambrioleur (2/2)”