Alexandre Marius Jacob est né le 28 septembre 1879, à Marseille. De parents pauvre, il passe à onze ans son certificat d’étude, puis embarque comme mousse sur un navire en direction de la Nouvelle-Calédonie. Grand lecteur de Jules Verne, il pense trouver dans cette première expérience salariée l’aventure dont il rêve.
Mais il déchantera bien vite. Il verra la haute société, voyageant et faisant des tours du monde, et la plus basse. Trafics d’esclaves, abus de toutes sortes, bagnards et pirates finiront de le convaincre de déserter, au bout de quelques années de navigation, et de revenir à Marseille.
« J’ai vu le monde, et il n’était pas beau » voila comment il résumera cette période, lors de son procès à Amiens.
Rapidement embauché comme apprenti typographe, il découvre le milieu anarchiste Marseillais, quelques années après les premières lois scélérates. Il est tout aussi rapidement identifié par la police, qui s’efforcera de le faire licencier dans chaque emploi qu’il occupe. Ne pouvant plus travailler et se refusant de vivre de mendicité, il décidera en toute logique de faire du vol tout à la fois un moyen de vivre et de lutter.
Oui, je vous ai volé, entre autres choses, un mouchoir de poche d’une valeur de deux cent cinquante francs… Un mouchoir de deux cent cinquante francs ! N’est-ce pas une insulte à la misère!
Alexandre Marius Jacob lors du procès d’Amiens, s’adressant à un plaignant
Le droit de vivre ne se mendie pas. Il se prend !
Alexandre Marius Jacob est probablement l’un des cambrioleurs ayant poussé le plus loin l’art et l’élégance du détroussage. Contraint d’enfreindre la loi pour vivre, il est conscient du risque qu’il encourt et décide donc d’être le plus méthodique et précautionneux possible, tout en reversant une grande partie de ses bénéfices à la lutte anarchiste. Dans les lettres et témoignages laissés derrière lui, et publié aux éditions L’insomniaque, il est possible de glaner quelques unes des innovations et des méthodes dont « les travailleurs de la nuit« , le groupe rassemblé autour de lui, avaient usage.
A l’instar de « La bande à Bonnot » qui se déplaçait en voiture, « les travailleurs de la nuit » prenaient très souvent le train, ce qui était relativement inhabituel à l’époque et leurs permettaient de fuir rapidement. L’usage des scellés posés sur les portes afin de savoir si la maison à visiter est inoccupée, les déguisements et les fausses cartes de représentants sont autant d’astuces utilisées afin de déjouer et de sécuriser les cambriolages.
Pendant quelques temps, Alexandre Marius Jacob prend une quincaillerie en gérance à Montpellier, rue de la république. Cela lui permet de faire venir des mécanismes de coffres-forts en tout genre, et ensuite de s’entraîner à les crocheter et les forcer, sans attirer plus de soupçons. Il deviendra rapidement par ce biais un expert en crochetage.
Jacob invente aussi le coup fameux du parapluie : faire un léger trou dans le plancher d’un appartement directement au dessus de celui que l’on cherche à cambrioler. Ensuite, y faire passer un parapluie fermé, que l’on ouvre par un système de ficelles. Récupérer avec cet outil ouvert les gravas afin d’éviter tout bruit lors de l’agrandissement du trou.

du 27/10/1901.
Credit:
Collection KHARBINE-TAPABOR.
En plus d’une grande adresse, Jacob est aussi doté d’un sens de l’humour à toute épreuve. Il laisse régulièrement sur le lieux de ses larcins des mots qu’il signe Attila. Allant de la moquerie anticléricale (« Dieu tout-puissant, recherche ton calice » après le cambriolage d’une église) à la note d’humeur plus agressive (« Sale aristo, sois heureux que nous n’ayons pas assez de temps, sans quoi ton coffre-fort serait allégé passablement. A la prochaine fois, il faut espérer que cela ira mieux »), Jacob ira jusqu’à laisser un mot d’excuse et un billet de dix francs (pour la vitre brisée) en se rendant compte qu’il est dans la maison de l’écrivain Pierre Loti.
En terme d’humour, son premier coup est probablement le plus réussi. Participant à un plan monté par un de ses mentors, Arthur Roques, et assisté par son père et un autre complice, ils se font passer pour des policiers auprès d’un préteur sur gage de Marseille. Le costume, quelques menaces, beaucoup de bluff et l’usurier se retrouve menotté et abandonné au tribunal par de la flicaille plus vrais que nature, pendant que le reste de la bande dévalise sa boutique. Un premier coup d’environ 40 000 francs.
C’était à Marseille, au mois de Juin de l’an 99…si j’ai bonne mémoire. Ce jour-là, depuis 8 heures du matin, j’étais posté sur le sommet de la colline de la garde, surveillant un château situé au Roucas-Blanc, dont un seul domestique – une femme de chambre – avait la garde, pendant l’absence des maîtres. Il faut vous dire que, grâce à une enquête habilement menée, j’avais appris que la servante était passionnément éprise d’un marchand de chi-chi frégis de la Canebière; de sorte que j’étais au courant de ses rendez-vous tout comme si elle avait été ma maîtresse. Bref, ce jour-là, nous savions donc que la particulière avait rendez-vous avec son particulier dans un garni de Pentagone. Aussi tout était prêt. Les outils étaient à portée du travail; le butin était même vendu avant d’avoir été pris; nous n’attendions plus, pour commencer l’assaut, que l’arrivée de la nuit.
Si je ne me défendais pas, ils m’enlèveraient la vie ou la liberté, ce qui revient au même.
Mais, au delà d’être un simple cambrioleur tout ingénieux qu’il fut, Alexandre Marius Jacob est avant tout un militant et un infatigable révolté. Sa conduite fut, tout au long de sa vie, guidé par des préceptes libertaires très fort.
Le vol et la reprise individuelle ne sont pas des pratiques bien vu par l’ensemble du mouvement anarchiste de cette époque. Certaines voix s’élèvent, notamment par le biais des journaux, pour affirmer qu’un voleur est un parasite pour la société tout autant que le bourgeois qu’il vole, car il ne crée rien. Jacob lui, acquiesce et répond que le bourgeois consomme et exploite le travail des autres, quand le cambrioleur parasite le capital pour mieux le détruire. Car « les travailleurs de la nuit » reversent une partie de leurs gains à la cause anarchiste, et ne dépouillent strictement que des représentants de l’oppression social (Rentier, patron, juge, militaire, bourgeois). Suivant l’adage de Proudhon « La propriété c’est le vol », le cambrioleur est un travailleur honnête s’il réparti ses gains avec les opprimés.
Et Jacob, s’il eut des dépenses importantes pour ses outils de travail, notamment les fameuses trousses extrêmement modernes pour forcer les coffres, ne vécu que dans des logements vétustes, ne dîna toujours que dans des « cantines » populaires, ne se fit jamais corrompre par le Capital.
Alexandre Marius Jacob, comme beaucoup d’anarchiste de cette époque, s’évertue à donner l’exemple et à prêcher la parole anarchiste dès qu’il est possible de s’exprimer, et notamment lors de ces différents procès. Les procès des anarchistes étant alors très médiatisés, il est sûr que ses diatribes et discours seront reproduits et diffusés, entre autre par les journaux anarchistes qu’il a contribué à créer. Il y déploie alors son talent oratoire pour pourfendre la justice, la bourgeoisie et défendre son idéalisme, ses pratiques et ses valeurs.
Il sera malgré tout jugé à Amiens, pour 156 affaires, et condamné à perpétuité au bagne de Cayenne.
-Accusé, levez vous
-Levez vous vous même, mon bon.
-Je m’attendais un peu à votre réponse. Néanmoins, je vous croyais assez intelligent pour ne pas user de redites, me replique le président, un compatriote en matière de coups de patte.
Croyait-il, ce brave homme, que j’allais me coucher sur le banc pour éviter une répétition. Me vois-tu en train de faire une sieste sur le banc de la cour d’assises ?
En deux mots, je lui explique le pourquoi de mon attitude.
-Lorsque vous venez me voir à la prison, je me découvre parce que vous découvrez; Mais je me découvrirais encore si vous ne vous découvriez pas. Car je suis poli pour moi, avant de l’être pour les autres. Mais ici, ce n’est plus le même cas. C’est une question de dignité. Vous juges, vous magistrat, en me disant « Accusé, levez-vous! », »Accusé, découvrez-vous ! » tout en demeurant assis et couvert vous même, vous prétendez être supérieur à moi : chose que je conteste. Vous avez beau vous draper dans une robe rouge, vous n’êtes ni plus ni moins qu’un homme en tout point semblable à moi. D’autre part, comme Darwin, je crois descendre du singe et non du chien. Or on n’a jamais vu un singe lécher la main qui le frappe ou qui va le frapper. Voila monsieur les raisons pour lesquelles je demeure assis et couvert.
Cet article étant consacré à la période illégaliste d’Alexandre Marius Jacob, nous traiterons de la seconde partie de sa romanesque vie ici !
Pour l’écriture de cet article, nous avons puisé essentiellement dans trois ouvrages :
Deux recueils de textes d’Alexandre Marius Jacob publiés aux éditions de l’insomniaque :
– Les travailleurs de la nuit & Extermination à la Française.


et une excellente biographie de Jacob, écrite par Jean marc Delpech, aux éditions Nada :
– Alexandre Marius Jacob, Voleur et Anarchiste