Le mot est faible, voila une collection bien nommée. Dirigée par Christophe Granger, le mot d’ordre de cette collection est de redonner du sens au mot. De nos jours, tout concept un tant soi peu disruptif peut être récupéré et remodelé par le marketing, la communication des gouvernements et des dominants et/ou l’idéologie néo-libérale.
Dénaturer un mot, c’est le pousser à trahir son histoire, c’est le vider de son sens pour « prendre appui sur l’ombre creuse qui est mise à la place« .
Ainsi en est-il de révolution.
» La révolution cosmétique «

Filorga, marque de cosmétique
Révolution… Voila un mot qui fut tellement utilisé qu’il est maintenant difficile d’en voir le sens exact. On pense à la révolution Française, évidemment. À la révolution numérique. À la révolution physique des astres dans le ciel. Mais Révolution, c’est aussi le nom d’une Freebox, d’une bière, d’un pub… Révolutionnaire est devenu un adjectif accolé à tout et n’importe quoi, et les meneurs et meneuses des révoltes sont désormais des objets de consommations.
Dans cet ouvrage, Ludivine Bantigny, maîtresse de conférence en histoire contemporaine à l’université de Rouen, revient sur les différentes acceptions du mot, et nous rappelle ce que les différentes révolutions apportèrent au monde actuel.
Le sort réservé au mot « Révolution » est une manière de l’essorer :
Certains s’en emparent, le font tourner dans tout les sens pour l’évider. Pour éviter ainsi sa réalité historique et politique : l’accaparer revient ainsi à l’apprivoiser, dompter sa force et le tenir en laisse jusqu’à ce qu’il se soumette à ses nouveaux maîtres. Peu de temps avant d’être élu président de la république, Emmanuel Macron n’avait pas hésité à appeler son livret de campagne « révolution ».
Révolution, dans l’acception scientifique c’est la rotation d’un objet autour d’un autre objet. Cela vient du latin Volvere, volte, révolte, mais aussi valse et volute.
Une définition plus large, de dictionnaire, donne : « Changements brusques et violents dans la structure politique et sociale d’un état, qui se produisent quand un groupe se révolte contre les autorités en place, prend le pouvoir et réussi à le garder. » Factuel.
À cela, Ludivine Bantigny précise que cette définition manque encore de profondeur. Dans d’autres langues (l’arabe, ou le chinois…) le concept de révolution est plus poétique, plus ouvert. Car la révolution est avant tout une culture, avec ses gestes et ses périodes (la grève, la manifestation, l’émeute…), ses raisons (la lutte des classes, les aspirations à une société plus égalitaire), son vocabulaire…
Le moment révolutionnaire est un moment qui ne peut se définir de manière froide et rationnel car il est constitué d’émotions, de situations et d’actions.
Commémorer la révolution, c’est l’enterrer, lui ôter son caractère de rupture pour en faire un paisible objet d’étude, tout juste bon à finir dans un musée.
Voir le gouvernement Macron commémorer Mai 68 en plein état d’urgence et après la loi travail, c’est amener au grand jour le danger de l’institutionnalisation. La révolution étant le changement « brusque et violent dans la structure politique d’un état », jamais cet état ne mettra en avant la révolution autrement que pour la désarmer.
Elle parle. Elle dit Je. Elle ne veut pas se laisser commémorer, c’est-à-dire au fond embaumer, qu’on la fête une bonne fois et qu’on n’en parle plus, comme une vieille chose révolue : Tombeau pour une Révolution défunte, noir comme le gouffre, froid comme la mort. Mais elle, elle se sent vivante, toujours active et actuelle, toujours agissante. Elle cavalcade, fait des bonds dans le temps, embrasse l’avenir en serrant le passé dans ses bras. Elle n’entend pas qu’on la célèbre, Bicentenaire ou pas. Elle n’a que faire de ce « suaire d’anniversaire ». Elle refuse que l’état tente de l’apprivoiser.
La révolution se conçoit autant dans les esprits que dans des ancrages de temps et de lieu concret. Le lieu, c’est la rue, c’est les usines, les universités qui dans l’instant révolutionnaire se révèlent toute autre qu’au quotidien. La révolution est une subversion de l’ordinaire. Che Guevara disait « Quand l’extraordinaire devient quotidien, c’est qu’il y a la révolution« .
Le corps, l’espace, le physique se mêlent et s’engouffrent dans la brèche. La révolution est aussi par essence une rupture temporelles. Chaque révolution se nourrit des précédentes, la digère et grandit de cette culture incorporée. Ainsi se créé un phénomène de filiation, de lien au passé, entre chaque mouvement sociaux. La révolution est aussi une tentative d’ébranler et de mettre à bas le présent.
Et c’est aussi et surtout un combat pour le futur, faits de désirs de victoires exaltantes, de changements radicaux et de sociétés à reconstruire. Ainsi peut- on comprendre la phrase de Walter Benjamin « Le temps est hors de ses gonds ».
Au cœur de l’événement révolutionnaire, attraper au vol ce surgissement de l’histoire transforme en même temps le passé et le présent. Car le passé n’existe jamais une fois pour toutes ; il se métamorphose au gré de ce que l’on en fait ; tout passé qu’il est, c’est un temps d’à-présent. Quand au présent, il se vivifie en y puisant, par la rencontre sous forme de choc, de collision, entre Autrefois et Maintenant. Dans ce rendez-vous fugace, le déroulement du temps n’a plus rien d’une chronologie linéaire et placide ; il procède par sursauts et enjambées.
L’instant révolutionnaire est aussi marqué par les habitudes de son époque. Comme le rappelle Guillaume Muzeau, si en 1793 la Terreur à tant marquée par sa violence, elle est pourtant largement comparable aux pratiques des monarchies en cours dans toute l’Europe. Et comme souvent, la violence est ce qu’il nous reste de souvenir les plus marquants, au détriment des avancées et innovations sociales et égalitaires.
La violence des révolutions est le fruits des injustices subis par ses protagonistes. Ainsi les portraits barbares et ordurier qui nous sont brossés des émeutiers le sont toujours par les pouvoirs en place. Ainsi en est-il de ces casseurs, décrié par « Le Figaro » et de nombreux autres de 1830 à nos jours.
Plus le gouffre entre les classes populaires et les élites est important, plus la pression sur les classes modestes est écrasante, plus la réaction émeutière est importante. Mais l’idée de la violence reste pour autant toujours attachée à la figure du révolutionnaire, du peuple enragé, mais jamais de l’état, du militaire, du colon. Combien de massacres, de guerres sanglantes, de tortures au nom de la république ? Qui possède le monopole de la violence ?
Une preuve de plus, s’il en était besoin, que l’histoire est écrite par les dominants, et l’opinion publique par ceux qui détiennent la presse.
La révolution est aussi bien souvent un instant créatif. En brisant les carcans et les normes, elle libère la parole jusque la cloisonnée, et ouvre le champ à de nouvelles pratiques, de nouveaux imaginaires. En témoigne la vivacité des slogans et affiches de Mai 68, l’importance du surréalisme dans la résistance au nazisme ou encore l’influence des écrivains de la négritude dans la pensée révolutionnaire post-coloniale.
Ces changements se font aussi sentir dans ce quotidien qu’elle vient pourtant malmener, avec par exemple la question de la sexualité et du rapport à l’autre : Engels, dans « le livre de l’apocalypse » constatait que tout les moments révolutionnaire amenait la question de « L’amour libre ». Les émeutes de Stonewall et les mouvements révolutionnaires LGBT permirent d’amener au grand jour les dominations hétéro-normées, et d’attaquer violemment la « pensée straight ».
La révolution, dans son mouvement même, produit des rêves et des idées. Elle porte en elle des volontés de solidarité, d’association et de coopération : L’aspiration à une vie bonne, plus juste et plus humaine – sans négliger sa beauté et le plaisir qu’elle inspire. Elle change les critères de référence : non plus le marché mais le partage, non plus la concurrence mais la solidarité, non plus la publicité mais l’art par et pour chacun, non plus la compétition mais le commun. En cela, elle redonne du sens à ce qui n’en avait plus et du désir quand il s’était perdu.
Révolution est donc un mot social, progressiste et combatif. Un mot cyclique, qui revient toujours nouveau mais fruit d’une longue lignée de combat. Un mot que chaque militant se doit de garder intact et pur des attaques du marketing néo-capitaliste.