Note # 7 N’drea

N’drea, Andréa Doria de son vrai nom, est morte en 1991 d’un cancer après 5 ans de lutte contre la maladie.
Quelques lettres et réflexions de la fin de sa vie furent réunis dans le livre « N’drea » publié à sa mort par Os Cangaceiros, et republié 25 ans plus tard par les éditions du bout de la ville.
Le groupe Os Cangaceiros, dont N’drea faisait partie, était un groupe autonome des années 80, qui refusait le travail salarié, vivait en collectif auto-suffisant, en marge et contre le « vieux monde ». De ce groupe sont partis de nombreuses actions, telle que la diffusion importante des plans détaillé des prisons françaises de haute sécurité, ou l’écriture et la publication de la revue du même nom et du livre « L’incendie millénariste ».

la liberté et la mort

En 1985, N’dréa apprend qu’elle a un cancer. Elle va tester opérations, rayons, chimios, et tout cela sans succès.
Lors qu’après 5 ans de traitements et de rechutes, il lui est proposé un traitement expérimental, elle prend la décision de vivre pleinement ses derniers mois, non contre la maladie, mais contre le monde qui la provoque.

Lettre aux infirmières
Novembre 1990

Le cynisme de ces deux feuilles à signer, sur un topo de trente pages que l’on ne m’aura même pas fait lire, dans le style sibyllin :  » J’ai la liberté de retirer mon consentement à tout moment, sans recourir aucune responsabilité, etc.  » Ben non. Manquerait plus que ça ! […]

Prenez ce petit mot comme une marque de reconnaissance de quelqu’un qui préfère un mois de liberté plutôt qu’une année de chimio, avec bien sur toutes les conséquences qui pourront s’ensuivre. […]

Ce n’est pas en désespérée que j’agis. Pas davantage par défi. Juste par raison et sagesse.
Je vais respirer l’air pur.

Dans ces lettres, adressées au corps médical ou à ses ami·e·s, se dessine une personnalité hors norme. N’drea n’est pas de celles qui suivent les ordres aveuglement. Elle vivait selon ses principes, en connaissant les risques. Le vol, le sabotage et l’illégalité faisait partie de son quotidien et la prison était une possibilité. Et comme pour toute personne qui recherche la liberté envers et contre tout, l’idée de prison n’a d’équivalent que la mort.
C’est assez sereinement que N’dréa, une fois les derniers espoirs de guérison éteints, décide de choisir sa mort, comme ultime manifestation de sa liberté. Elle mourra le 15 août 1991. La date étant posée, il convient de profiter du temps restant, des ami·e·s qui resteront, de la nature.
N’dréa prend la parole, écrit, se raconte, mais cela n’a rien de larmoyant. C’est vif, incisif, lumineux. C’est le parcours d’une femme ayant toujours refusée la dépossession de sa vie, et donc de sa mort.

C’est aussi un cri de rage contre le système médical et son monde. Trop rare sont les détenteur·ices du savoir médical, et ceux-la sont rarement enclin à le partager avec leurs patient·e·s. Combien furent mené·e·s au bloc ou affublé·e·s de traitements lourd sans plus d’explication qu’un rapide « Pas d’inquiétude, tout va bien se passer »?
Une chimiothérapie de la région pelvienne ne devait lui laisser aucune séquelle. Elle est désormais castrée et son corps empêche toute pénétration.
N’dréa s’insurge sur les dominations du savoir et l’infantilisation des malades.

Rafistoler l’immédiat, traiter les SYMPTÔMES

Au delà du simple fait de ne pas se sentir libre, de nombreuses personnes sont aussi des patient·e·s test sans forcément l’avoir bien compris. À une époque où la médecine tâtonne sur le traitement de certaines maladies lourdes, c’est toute une industrie vouée au profit qui se dissimule derrière ces recherches et ces essais de traitement. Le tout sous couvert de bienfaisance et du sacro-saint serment d’Hippocrate.
Car le profit est bien présent, que ce soit le laboratoire Sanofi qui propose ce fameux traitement test, laboratoire alors détenu par ELF, ou les innombrables traitements « parallèles » évidemment non remboursés et toujours charlatans.

N’dréa soulève aussi, dans ces réflexions sur le traitement des maladies, un problème fascinant. Il est avéré que le nombre de cancer augmenta sensiblement depuis l’explosion de Tchernobyl. La technologie nucléaire est un danger et une agression quotidienne pour l’humanité. Nous savons aussi que l’utilisation de certains produits dans l’industrie ou l’agriculture intensive provoque de graves maladies pour les populations alentours. Mais jamais dans le discours médical cela n’est remis en cause. Au contraire, des médecins iront jusqu’à la culpabilisation ultime : « C’est vous qui vous êtes fait ce cancer ».

« et bien, vous alors, vous pourrez dire que l’on en a fait des choses pour vous ».

C’est qu’il faudrait même les remercier, du moins être reconnaissant d’avoir eu l’honneur de bénéficier de leur matériel hyper-sophistiqué. Quelle inversion !
Quand on sait que nos tumeurs sont leur « gagne-pain », et que c’est entre autres leur engeance (promoteurs du nucléaire et de la chimie) qui nous les refile, qu’il y a presque autant de gens qui « vivent » du cancer que de gens qui en meurent.
Comme à la guerre, en chimiothérapie on ne compte pas les morts civils… C’est une opération militaire : pour atteindre une cible, on extermine.

La démonstration par l’exemple d’une vie pleinement VÉCUE

Le cancer est traité comme étant la cause, alors qu’il n’est évidemment que le symptôme d’une maladie de la société toute entière. Et c’est aussi avec cette colonisation des corps et du soin par le capitalisme que N’dréa décide de rompre.

Tout au long de l’existence de leur groupe, les Os Cangaceiros n’ont eu de cesse de lutter contre la prison. N’dréa salut dans ses lettres ses « amis qui sont en prison, Georges Courtois et Karim Khalki », condamnés pour la prise d’otage de la cour d’appel de Nantes en 1985. Au fil de ses réflexions, elle compare le cancer et le milieu médical à la prison et au système carcéral. Elle fut dans sa vie plusieurs fois filée par la police, et comme par son cancer, rattrapée mais jamais vaincue. Les « flicastases », les « métastaflics », ces nuisances qui cherchaient à lui imposer un enfermement, un schéma de pensée ou une voie à suivre ne lui ont volé ni sa vie, ni sa mort.
Au final, le capitalisme est un cancer, et toutes les instances qui le représentent ne sont que des cellules malades en quête d’hôtes à infecter.

N’dréa, Os Cangaceiros, Ed. Le bout de la ville, 2016.
Le texte est disponible en ligne ici.

Et mieux encore, ô luxe, ô jouissance suprême, j’ai organisé ma fin avec mes amis comme une situation que l’on construit. La date de la commune séparation est décidée, ce point d’accord dans le temps est un repère pour un départ : fin et commencement à la fois. Je serai dans le futur de mes amis, dans leurs orientations communes ; je dis « nous » en parlant d’un temps où je ne serai plus. Voilà de quoi relativiser l’idée de la mort ordinairement admise.
Cette date, plus ou moins arbitrairement choisie, il faut la voir comme un seuil de qualité voulu ensemble en deçà duquel il serait sacrilège de revenir.

La liberté que j’affirme est celle d’une individualité concrète, c’est-à-dire intimement liée à celle de « ses » autres, une liberté sociale. On ne vit que de communication, j’en suis la démonstration vivante.

Ma liberté ?
Ni victoire,
Ni défaite,

Je suis sûr de mes amis.

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