(2012-2019) L’empire contre attaque
Re-découvrir le vivre ensemble.
L’État, bien que mis en échec par la résistance à l’opération César, ne fera pas retomber la pression mise sur la ZAD si rapidement. Du 25 novembre 2012 au 19 avril 2013, la ZAD vivra une sorte d’occupation militaire avec ses carrefours occupés, ses interdictions de faire rentrer du matériel de construction, ses checkpoints permanents. La tension est encore bien présente, les altercations avec les forces de polices régulière, bien que n’atteignant pas l’intensité des mois précédents.
Il reste maintenant à reconstruire et à consolider les défenses déjà mises en place. De nombreuses cabanes sont érigées, de nouvelles maisons sont squattées, et le nombre d’habitants de la ZAD est en hausse constante. Le 27 janvier 2013, les paysans de COPAIN (Collectif des organisations professionnelles agricoles indignées du projet d’aéroport) décident d’ouvrir leur propre squat, à la ferme de Bellevue, récemment désertée par ses habitants, afin notamment de poursuivre l’activité agricole des anciens propriétaires.
Pendant cette période, et malgré les difficultés importantes pour accéder à la ZAD, de très gros rassemblements sont organisés, comme le FestiZAD début 2013, ou l’action Sème ta ZAD qui invite toute personne le désirant à venir aider a remettre en culture des terres laissées libres, les 13 et 14 avril 2013.
Quelques jours plus tard, la police quitte les lieux, et libère l’ensemble de la ZAD des contrôles quotidiens dont elle faisait l’objet.
Les années qui suivirent l’opération César furent des années extrêmement dynamiques et actives sur la ZAD. Bien que toujours précaire, la vie sur la zone de Notre-Dame-Des-Landes s’enracine petit à petit, et les habitants s’y installent et modèlent le lieu et le quotidien à la recherche d’une plus grande cohérence. Les travaux agricoles battent leur plein, et les occupants construisent des boulangeries, des conserveries, une meunerie. Les denrées produites sur la ZAD sont pour la plupart portées au Non-marché du Gourbi, lieu d’échange à prix libre. Les habitations jusque-là légères sont consolidées en dur. Des lieux de formations au bûcheronnage ou à la mécanique sont mis en place, et de très nombreux chantiers collectifs sont proposés.
Une bibliothèque se construit, qui accueille régulièrement des écrivains et penseurs, et permet de créer des liens avec d’autres lieux en lutte (Pays basque, plateau de Millevache, Kurdistan etc…)
Mais cette période est aussi malheureusement une période de conflits internes assez forte pour le mouvement anti-aéroport. Contre la répression policière et la violence quotidienne, les zadistes firent front commun. Mais lorsque la menace se fit plus lointaine, les questions de fond, politiques, du vivre ensemble, survinrent. Avec l’augmentation du nombre d’occupants, différents mode de vie se mettent en place, qui cohabitent parfois difficilement. Ce fut notamment le cas autour de la « zone non motorisée ».
D’un coté à l’autre de la D281, grand axe qui traverse la ZAD, s’oppose deux manières de concevoir le rapport à la terre. A l’ouest, des collectifs structurés autour des Fosses noires, ou de Bellevue, proche du milieu agricole local. De tradition paysanne, ils n’hésitent pas à utiliser de l’électricité ou des machines agricoles pour cultiver leurs terres.
A l’est se trouve notamment la zone non motorisé, accessible uniquement à pied ou en vélo. Les personnes de ce coté-là de la route cherchent à avoir un impact minimal sur leur environnement. Dans une recherche de libération de la dépendance technologique, ils et elles cultivent à la main, expérimentent des formes de permacultures, ramassent et cueillent de quoi se nourrir et se chauffer… Pour ces collectifs, la lutte contre « L’aéroport et son monde » passe par une recherche de résilience et de de rejet de l’agriculture motorisée, par une forme de vie libérée de toute contrainte du capitalisme moderne.

De violentes dissensions apparurent aussi sur les questions de méthodes militantes, notamment des suites de la manifestation nantaise du 22 février 2014. Appelée par toutes les composantes du mouvement anti-aéroport, cette dernière avait comme objectif de « porter le débat dans la métropole » et fut pour certains un succès, pour d’autres un cauchemar. Énormément de monde présent, une foule qui ne recule pas devant la police mais qui construit un rapport de force en incendiant notamment un engin de chantier de Vinci, des actes forts et divers affrontement un peu partout dans Nantes. Une répression judiciaire très forte. Une manifestation dont les médias s’empareront pour construire une nouvelle fois la figure tant fantasmée/criminalisée du zadiste casseur et qui poussera certaines associations à publier des communiqués condamnant les affrontements.
Après l’opération César, les barricades érigées pour protéger la zone ont été conservées en certains lieux pour permettre la mise en place à l’est de la D281 d’une zone non motorisée. Le changement est radical : il s’agit non plus d’empêcher le retour des forces de l’ordre mais celui des engins agricoles qui tenteraient de remettre les champs en culture. Ce conflit est lié à des choix divergents de pratiques agricoles, de type de projet et d’organisations collectives. En effet, l’incompréhension est profonde entre deux manières différentes de s’organiser et de se rapporter au territoire. Les paysans anti-aéroport sont habitué.es aux assemblées régulières et à recourir au vote si besoin pour sortir des blocages. Cultiver est pour elles et eux la manière la plus légitime de défendre des terres considérées comme avant tout agricoles. De l’autre coté, une partie des occupant.es considèrent que lutter contre l’agriculture mécanisée et l’usage d’engrais et pesticides fait partie intégrante du combat contre « L’aéroport et son monde ».
Les saisons se succédant, l’idée d’aéroport devient de plus en plus incertaine, et c’est autre chose finalement que les occupants se retrouvent à défendre : le droit de vivre autrement, de s’approprier sa vie et de la sortir de la sphère marchande et consumériste. De vivre collectivement, ici sur la ZAD, dans un espace-temps bien différent a celui du dehors.
Les manifestations et les actions fortes se succèdent, telles que le blocage du pont de Cheviré, ou la construction du dôme géodésique au Gourbi. La dynamique en cours depuis fin 2012 se poursuit, et l’on estime qu’environ 300 personne vivent sur la ZAD en 2017. De nouvelles cabanes se construisent, et les anciennes se consolident. Le collectif Sème Ta Zad réfléchit et organise les productions, de plus en plus importantes et diversifiée. De nombreux collectifs et organes de réflexion et de décision se montent, afin de penser le quotidien et le futur de la lutte au mieux. Des espaces de discussion seront notamment créés afin de travailler sur les modes d’organisation collective, sur les processus de décision, et sur la gestion des conflits interne ou externe. Ces concertations sont fondamentales car elles permettent de faire avancer l’autonomie et la vie en collectif, dans une zone de plus en plus peuplée et par des collectifs aux envies et fonctionnements de plus en plus éloignés. C’est sur ces bases autonomes et libertaires que les habitants tenteront de construire une société anti-autoritaire, en dehors de l’état policier et de la loi du marché.
C’est d’un de ces groupes de réflexion que vient le texte « Les 6 points sur l’avenir de la ZAD », écrit de 2013 à 2015, et dont la proposition en assemblée fit rapidement consensus.
L’aéroport ne se fera pas, mais la lutte ne sera pas finie pour autant, il est temps de poser des bases communes pour le futur.

L’État, de son coté, travaille à une attaque d’une nouvelle forme pour déstabiliser une fois de plus le mouvement. C’est cette fois par le biais médiatique que la ZAD sera dénigrée, que ce soit par la description régulière de la ZAD comme zone de non-droit, des zadistes comme des individus nihilistes et ultra-violents, ou encore par des faux reportages à la propagande facile et diffamante.
C’est début février 2016 que le président alors en fonction François Hollande demande d’organiser un référendum afin de récolter l’avis des populations concernées par le projet d’aéroport. Ce référendum, lourdement critiqué par sa méthode, son biais idéologique et la zone géographique sélectionnée, sera en légère faveur (55%) de la construction de l’aéroport, ce qui n’entamera en rien la détermination du mouvement. En réponse, de nombreux événements seront organisés, entre autres afin de préparer la défense contre des expulsions qui se font de plus en plus sentir.
Le 8 octobre 2016 , lors de la manifestation du « Chant du bâton », c’est entre 12 000 et 40 000 personnes qui viendront sur la ZAD pour monter le « Hangar de l’avenir », un bâtiment de 20 mètres de long sur 8 mètres de large construit durant l’été par 80 charpentiers militants. Ces manifestants prendront part au « Serment du bâton », un appel à venir planter un bâton sur la ZAD lors de la manifestation et à venir le récupérer et s’en servir pour défendre la zone en cas d’expulsion.

Une victoire douce-amère
C’est donc fort de ce soutien que la ZAD se prépare, pendant cette période d’accalmie, à reprendre la lutte. Lutte qui prendra la forme d’un dernier sursaut plutôt dévastateur.
Le 17 janvier 2018, Edouard Philippe, alors premier ministre, annonce à la télévision que le projet d’aéroport est abandonné. La victoire, enfin. La tension fait place à la joie pour une soirée de fête mémorable. Mais elle est de bien courte durée, car dès le lendemain, il faut de nouveau penser l’avenir, se défendre face au vieux monde toujours bien présent.
Edouard Philippe, pour tenter de sauver la face du gouvernement, exige le déblaiement de la route D281, et le départ de toute personne en situation illégale avant la fin de la trêve hivernale sous peine d’expulsion forcée.
Une assemblée générale extraordinaire se tient à la Wardine pour décider de l’avenir du mouvement. Très vite se posent les premiers désaccords. Le gouvernement, ainsi que les paysans et les collectifs locaux rappellent qu’une fois la lutte terminée, la route des chicanes (D281) doit être ouverte et que chacun doit y circuler librement. S’y opposent une partie des occupants, par préoccupation écologique (de nombreux animaux se sont habitués à vivre dans la zone sans se soucier de la présence d’engins), afin de préserver la zone non motorisé et pour la défendre au mieux contre les expulsions promises par Edouard Philippe. Rapidement, des membres de COPAINS et de la coordination posent un ultimatum. La route sera nettoyé le lundi suivant l’assemblée, quitte à s’opposer physiquement aux franges les plus radicales du mouvement.
Cette victoire a donc un gout amer. Il faut désormais accepter la nouvelle présence policière régulière sur la ZAD, faire le deuil de cette « zone de non-droit » ou fleurissait tant de projets formidables, négocier avec l’état pour tenter de rester, un peu plus longtemps.
Il y a bien quelque chose de changé. L’indispensable unité imposée par la lutte commune n’existe plus. Pourtant la volonté de nombreux.ses opposant.es à faire vivre d’autres possibilités d’existence sur ces terres humides est toujours bien présente. De l’effacement progressif des différentes composantes se dégage quelque chose de riche, de nouveau. Trop souvent, elles isolaient les individus les uns des autres, les renvoyaient à des identités séparées, pré-construites. Côte à côte sans trop se mélanger, résidaient occupant.es, associations, paysan.nes, naturalistes. Mais les années de rencontres et la nouvelle situation ont amené chacun.e à nuancer ses positionnements. Ce qui se joue alors n’est donc pas la décomposition inéluctable d’une alliance dépassée, mais bien la recomposition des forces en présence.
En prévision de ces moments avait été pensée une délégation inter-composante de la ZAD, conçue comme seule interlocutrice de l’état afin de porter une voix unique et unie. Accueillant une personne de chaque fraction du mouvement, l’objectif de cette délégation est de faire valoir les « Six points de la ZAD » et de se battre pour un « Avenir sur la ZAD ». Mais rapidement, ces négociations s’essoufflent, minées par les guerres internes. Certains habitants demandent des COP individuels (Conventions d’occupation précaires) quand d’autres s’y refusent absolument. Des groupes se montent, comme le bada (Bureau d’autodéfense administrative) pour porter des dossiers d’intentions de projet agricole, afin de légaliser la présence sur les lieux. La bataille est alors essentiellement juridique.
Mais cela ne suffira pas à stopper les expulsions, d’autant plus violente que le gouvernement cherche à venger son affront récent. La première vague de policier afflue sur la ZAD le lundi 9 avril, à 2h40 et durera une semaine. De très nombreuses cabanes seront détruites, porteuses d’un projet agricole ou non. Environ 200 personnes seront blessées, pour quelques 11 000 grenades tirées.
Malgré un fort soutien partout en France et dans la presse, la ZAD se voit poser un deuxième ultimatum. A 14 mai, un mois après, le gouvernement statuera sur les dossiers de projet agricole, et décidera de qui restera ou non. Le 17 mai, deux jours d’expulsions d’une violence extrême auront raison des derniers « sans-fiches ». Il est tant de laisser la ZAD lutter autrement.
Car tout n’est pas fini sur la ZAD, loin de la.

Bilan et prolongement du mouvement
Notre-Dame-Des-Landes n’est plus le plus grand squat à ciel ouvert du monde. Mais l’esprit et l’expérience accumulé au cours de cette lutte de quarante ans sont toujours bien présents. Un grand nombre de cabanes illégales sont encore cachées dans les bosquets, et bien que la zone se tourne vers une légalisation, l’esprit collectif y vit encore. En effet, après de longues discussions, l’assemblée des usages, chargée de penser le futur de la ZAD, valide la création d’un fond de dotation, appelé « La terre en commun », permettant l’achat de terre et d’habitat de manière collective, sans parts ni actions, afin de poursuivre la recherche de vie meilleure entamée ici.
Sur place, des collectifs et associations survivent, comme l’association Notre-Dame-Des-Landes lutter ensemble, qui cherche à soutenir localement les projets des nouveaux habitants et plus globalement toutes les luttes contre les grands projet inutiles et imposés. Dans un communiqué, les habitant ayant fait le choix de la COP annonce :
« Le rapport au monde que l’on défend ne rentrera jamais, ni dans le cadre étatique, ni dans une fiche. C’est pourquoi nous devrons toujours batailler pour lui, comme nous avons bataillé hier contre le bétonnage. »
Notre-Dame-Des-Landes plus uniformes, moins sulfureuse certes, mais plus solide comme base arrière des mouvements et des luttes du pays nantais, voire des luttes du monde entier.
« Habiter en lutte » est en grande partie l’histoire d’une lutte, documentée, datée, et extrêmement bien racontée. Mais au de-là de ce qui s’écrit sur la ZAD, c’est une histoire des mentalités, des luttes qui s’est vécue. Et toutes les victoires sont des victoires inoubliables. Tout ce qui fut gagné l’est pour toujours.
Sur la ZAD c’est un immense savoir-faire qui s’est transmis. Pratique, de tout les jours, de la mécanique au cocktail molotov en passant par le semis et l’élaboration d’une barricade. C’est un rapport au monde, à l’habitat qui s’est construit, affiné, imaginé. Qui aurait imaginé des paysans, réfractaires pourtant à ce type d’action, ouvrir la ferme de Bellevue, et en faire un squat. Qui aurait pensé que tant de personnes viendraient rejoindre la lutte pour un instant ou quelques mois.
Notre-Dame-des-Landes, c’est une réflexion profonde sur ce que nous voulons au quotidien, sur le rapport à la propriété et au commun, sur le collectif. Les positions défendues telle que le refus de la légalisation, le vivre ensemble, le non marché furent des pas en avant pour prouver qu’il est possible de refuser le capitalisme aujourd’hui, et de vivre autrement.
Notre-Dames-des-Landes, c’est une avancée des pratiques militantes. La violence de la répression aidant, chacun put se percher sur une barricade pour lancer pierre et cocktail molotov, chacun put prendre part à la préparation des repas partagés, au transport de matériels… La difficulté à s’opposer à l’état, la peur du recours à la violence, tant pour soi que face à soi, furent dépassées sur la ZAD, et ce de manière saine et intelligente la plupart du temps.
Notre-Dame-des-Landes, c’est un creuset de cultures. Cultures potagères et alimentaires en premier lieu, mais aussi intellectuelle et spirituelle. L’invention de nouvelles manières de vivre, mise en danger constamment et donc constamment réinventée fut une source fabuleuse pour la création artistique et militante, et permis à énormément de personnes n’ayant pas de lien avec la culture de l’expérimenter et de s’y trouver à l’aise.
Pour tout cela, cette lutte fut et est encore une immense leçon de vie, et en cela, elle est une immense victoire.

Si on peut dire qu’elle est exemplaire, ce n’est pas tant parce qu’elle prétend être un modèle, mais parce qu’elle aura, concrètement, servi d’exemple à toutes celles et ceux qu’elle aura touché.es . Territoire vivant, ouvert, traversé, la ZAD en dix ans a accueilli des milliers de gens qui y ont vécu de manière sensible l’expérience de l’altérité et en sont revenus transformés.