(1970-2012) La lutte contre l’aéroport…et son monde
La ZAD de Notre-Dame-des-Landes est aujourd’hui connue internationalement, en raison de l’acharnement gouvernemental et de l’opiniâtreté des militant·es, et sa lutte est aujourd’hui une référence pour des milliers de personnes partout dans le monde.
Mais l’histoire de Notre-Dame-Des-Landes est bien plus ancienne et intime que l’on peut imaginer, composée de bouts de vie et d’instants du quotidien depuis plus de quarante ans. C’est cette histoire là, du moins une vision, que le collectif comm’un tente de nous transmettre dans l’ouvrage « Habiter en lutte, Quarante ans de résistance ».
Le collectif comm’un est composé de quatre personnes habitant·es ou soutien régulier, bien décidé à retracer l’histoire mouvementée de la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes avec de nombreux témoignages, documents, cartes, photographies…
Au commencement de la lutte
La zone des landes nantaises, comme une grande partie du bocage des régions alentours, est une zone humide composée de mares et d’étangs, de prairies et de quelques forêts. Au moyen-âge et jusqu’au début de l’industrialisation, la paysannerie y est relativement développée, et utilise les différents milieux naturels afin de produire de l’élevage et une agriculture diversifiée. Traditionnellement, une grande partie de ces champs et « terres vaines et vagues », bien qu’appartenant aux seigneurs des environs, était utilisée collectivement par les paysan·nes qui les géraient selon des règles collectives et respectueuses de l’écosystème.
Par une succession de pratiques (faire paître le bétail, faucher la lande, prélever la tourbe etc…) l’équilibre naturel des « communs » et de la lande était respecté et fournissait à toute personne, apte au travail ou non, de la nourriture et de quoi se chauffer. Cet usage communautaire des lieux fut maintes fois attaqué par les pouvoirs en place : tentative de moderniser l’agriculture, de basculer les terres dans la gestion privative, de planter des haies pour matérialiser les frontières des différentes parcelles…
Et maintes fois la population résista, arracha les haies, passa outre les traités et les lois pour garder la gestion de ces terres.
Mais, le temps passant, la métropole nantaise prit de plus en plus de place et de pouvoir, notamment grâce à la traite négrière, et son influence sur les zones alentours se fit plus forte, ce qui se traduisit notamment par un changement de l’écosystème, passant de la lande à un bocage humide.
C’est en 1970 que les premières évocations d’un aéroport commencent à courir la lande, pensé notamment pour dynamiser et fortifier la métropole Nantes-Saint-Nazaire. Dès l’annonce publique du projet dans la presse, les premières réactions hostiles se font entendre, portées principalement par les paysan·nes de la zone concernée. En 1972 est créée l’adeca (L’association de défense des exploitant·es concernées par l’aéroport) qui organisera en 1973 la première d’une longue série de manifestations. Très rapidement se créent des liens avec d’autres luttes emblématiques de l’époque, comme le Larzac, ou la lutte antinucléaire autour de Plogoff.
La fracture, importante dans ces années-là, entre campagne et ville, l’émergence d’une conscience écologique, tout cela combiné fera que le projet, refusé en bloc par les élus et la population, sera enterré en 1979 pour quelques années.
C’est en octobre 2000 que le gouvernement Jospin relance officiellement le projet, afin de désengorger les aéroports de Paris, et d’accélérer l’urbanisation de la métropole nantaise. Très rapidement les ancien·nes opposant·es resurgissent, et se coordonnent pour reprendre la lutte contre l’aéroport. Une nouvelle association est créée, l’acipa (Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport de Notre-Dame-Des-Landes) qui rejoint l’adéca. De nouvelles manifestations sont organisées, qui reçoivent de plus en plus de soutien. En 2003 se créée la coordination des opposant·es au projet d’aéroport de Notre-Dame-Des-Landes, qui fédère tous les collectifs actifs dans la lutte. Chaque collectif œuvre à sa manière au sein de la coordination. Certain·es organisent des actions choc quand d’autres œuvrent sur le plan légal, certain·es organisent des pique-niques et des marches quand d’autres s’enchaînent aux grilles de la préfecture de Nantes. On retrouve dans la coordination tous types de personnes : « Elu·es », « Paysan·nes », « Zadistes », « Habitant·es », « militant·es ecolos »… et chacun·e amène son point de vue sur le territoire. Lieu de vie pour certain·es, lieux de travail pour d’autres, où bien encore zone à défendre…
Mais tous les opposant·es ont à cœur la richesse écologique du lieu, et c’est cette prise de conscience et cet angle de lutte qui retardera longuement le projet.

Les squats, les nouvelles cabanes, les projets agricoles, les forages et les premières manifestations changent profondément la lutte et la zone. Les projets des promoteur·ices de l’aéroport sont ralentis et les opposant·es sont de mieux en mieux organisé·es. Peu à peu, le paysage de la zad et son organisation spatiale évoluent.
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La fête, les lectures, les ateliers d’écriture et de slam, les spectacles, la musique, gratuite ou à prix libre, sont particulièrement présents et importants dans la mesure où elles participent à l’émancipation, au renforcement de la solidarité, au partage des idées.
Les irréductibles gaulois contre l’empire français
Des années 2000 à 2012, le nombre de personnes habitant sur la ZAD a régulièrement augmenté et le nombres de cabanes ou de maisons squattées est de plus en plus important. Les militant·es se dotent de médias libres (Radio Klaxon, site internet, journaux ) et cherchent à s’autonomiser sur de nombreux aspects de la vie quotidienne.
Lentement mais surement, la tension entre les opposant·es et les pro-aéroport monte jusqu’au 16 octobre 2012, début de l’opération César, qui sera l’une des périodes les plus violentes de la lutte contre l’aéroport.
Quelques jours avant le début des opérations, des fuites d’informations alertent les occupant·es de la ZAD des risques imminents d’interventions. Le 16 octobre, ce seront plus de 1 000 policiers mobilisés pour évacuer et détruire les logements illégaux. Le premier jour, ce sera la Bellish qui sera détruite, à peine une heure après le début de l’opération. Puis la Gaîté, et sept autres maisons et cabanes. Dans la nuit, après le repli des forces de l’ordre, l’autodéfense s’organise, resserrant encore les liens entre squatteur·euses, habitant·es, agriculteur·ices et militant·es.
Réparer et reconstruire des bâtiments endommagés la nuit, tenir les barricades le jour, courir d’un bout à l’autre de la ZAD au gré des indications données par Radio Klaxon, tel sera le quotidien des militant·es durant les quarante jours que durera l’opération César.
La Médicteam et la Légalteam tournent à plein régime pour défendre physiquement et juridiquement les militant·es, tandis que les différents groupes médias relaient les appels à défendre la ZAD et font des points réguliers sur les affrontements et les avancées de la police.
Les images de la répression, d’une grande intensité, marquent les esprits et incitent de nombreuses personnes extérieures à rejoindre la ZAD pour s’y opposer.
Dans le bocage, c’est une guérilla qui se joue, et les zadistes, bien qu’inférieurs en nombre et en équipement, y sont avantagés par leur connaissance des lieux et par les liens forts entre eux et entre le territoires qu’iels habitent.
Chaque nuit se montent de nombreuses barricades, certaines enflammées, habitées, mobiles, d’autres posées par tracteurs et terriblement lourdes.
A la surprise générale, au lendemain des premiers jours d’expulsion, un large mouvement de solidarité se met en place. De nouvelles personnes, de la nourriture, des bottes et des vêtements arrivent en masse de l’extérieur de la zad pour soutenir les expulsé·es. Les occupant·es et opposant·es historiques, accompagnés de leurs nouveaux soutiens, mettent en place une logistique non centralisée et en partie improvisée pour le ravitaillement, la construction et la défense des maisons, des cabanes et des barricades. Les images d’expulsions encouragent les habitant·es de Nantes et des environs à venir apporter leur aide et voir par eux et elles-mêmes ce qui se passe réellement sur le terrain. Ainsi, les forces de l’ordre ne sont pas confrontées à une masse homogène d’occupant·es belliqueux·ses, mais à un large spectre de personnes, allant de l’opposante masquée au grand-père curieux.
Le 17 novembre , soit un mois après le début des expulsions, une manifestation de réoccupation est lancée depuis le bourg de Notre-Dame-Des-Landes, jusqu’à la ZAD, avec pour objectif de mobiliser toutes les formes disponibles pour reconstruire de nombreuses cabanes. C’est la spontanément nommée « Opération Astérix ».
Un immense blackbloc d’un millier de personnes s’élance, suivi d’une foule gigantesque portant matériaux de construction et cabanes préfabriqués.
C’est une journée de victoire, qui fait sortir un nouveau lieu de terre, « La châteigne », mais les expulsions reprennent quelques jours plus tard avec encore plus de violence, jusqu’au 24 novembre, dernier jour et probablement le plus violent de l’opération César.
Le bilan de l’opération César est donc plutôt négatif. Censé expulser ses habitant·es, elle a eu pour effet de les rendre soudés contre la répression et de rendre visible la violence de l’État. De très nombreuses actions directes furent lancées en soutien à la ZAD, partout en France. De nombreuses cabanes furent détruites, et beaucoup de militant·es furent blessé·es, mais de plus nombreuses encore furent reconstruites.

L’opération Astérix est une grande réussite démontrant l’unité du mouvement anti-aéroport. Ce 17 novembre, l’affluence énorme surprend et ravit les opposant·es. Cet engouement s’explique en partie par le fait que de nombreuses personnes, peu enclines à l’action directe mais choquées par les destructions et la violence des expulsions, trouvent dans cet événement la possibilité de participer à un moment collectif de réoccupation du territoire et d’opposition au gouvernement. Cette « Manif-Chantier pour un Geste Illégal et Constructif » est remarquable à plus d’un titre. D’une part elle incarne un nouveau type d’action militante par sa forme ; d’autre part, son ampleur est sans précédent.

La période 2012-2019, importante partie du livre « Habiter en lutte », sera traitée dans l’article suivant.